De l´autre côté de la porte

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« Mommy » en bien.

Des images en noir et blanc : un devoir à l’école, le trajet quotidien dans les rues nipponnes, le repas en famille… L’ensemble est calme, posé. Le cadre est rigide, sec. A propos de ce choix particulier du noir et blanc, le réalisateur Laurence Thrush, britannique établi à Los Angeles, évoque l’influence de la photographie de rue japonaise mêlée au désir de s’écarter des couleurs vives des néons et panneaux publicitaires découverts à Tokyo. Le noir et blanc introduit naturellement une distance, impose un regard différent. Distance qui va être mise à profit pour raconter l’histoire d’un éloignement : une mise en retrait ou une évasion.

Déjà guère loquace, un soir au retour de l’école, le jeune Hiroshi s’enferme dans sa chambre. Il n’en sort plus, ne prend plus ses repas en famille, ne va plus à l’école. Toute forme de communication est rompue. Hiroshi disparaît de la vie sociale comme de l’écran. Une fois fait ce choix de l’enfermement, son corps n’est plus visible ni pour la famille, ni pour le spectateur. Le jeune homme n’existe plus que comme une présence fantomatique : le bruit de ses déplacements, son ombre fugace lorsqu’il sort de sa chambre alors que la famille dort, ses cheveux restés dans la baignoire quand il est venu les couper… Il faudra que la porte de sa chambre s’ouvre, plus tard dans le film (et des mois après son enfermement) pour que le corps d’Hiroshi viennent à nouveau imprimer la surface de l’écran.

« Je voudrais que tout le monde disparaisse. »

Plutôt que du point de vue du « disparu », le film se construit autour de l’effet de son effacement sur ses proches. Comment celui-ci modifie peu à peu la vie et le rythme quotidien. Plus que le seul mal-être d’un adolescent, De l’autre côté de la porte fait aussi le portrait d’un Japon contemporain, société qui dissimule, sous son apparence ultramoderne et technologique, un monde encore pétri de traditions séculaires : poids des conventions et du regard des autres sur son propre foyer, hantise du trouble qui mène à un individualisme et un isolement frappants. Le film aborde ces thèmes avec une rigoureuse sobriété. Les situations, aussi tragiques et violentes qu’elles puissent être, sont envisagées de manière directe, mais avec élégance et discrétion. Comme s’il ne fallait pas déranger l’ordre, qui n’est qu’apparent, du pavillon où se déroule l’essentiel du film. Ne pas faire de bruit pour ne pas alerter les voisins.

Après un documentaire en 2000 (Fidel’s Fight sur les combats de coqs à Cuba), De l’autre côté de la porte est le premier film de fiction de Laurence Thrush, réalisateur de pubs ultra-primées. Pourtant, à tout moment, il évite l’image-choc ou slogan, tout effet trop immédiatement tape-à-l’œil qui viendrait se surimposer à sa dynamique sobre, mais diablement efficace. Le film parvient à trouver la distance juste pour approcher et asseoir le drame, chose que Xavier Dolan sur un sujet similaire avec Mommy (2014) (l’effet dévastateur d’une attitude sur ses proches) est incapable de faire, occupé qu’il est à faire sortir les larmes au forceps avec une débauche d’énergie et de moyens aussi ahurissante qu’abrutissante. Au laminage du spectateur en lieu et place de toute réflexion ou émotion sincère répond ici une volonté descriptive plus humble et plus fine. Car toute bonne description recèle déjà en elle une part d’analyse.

Laurence Thrush avance pas à pas, mais sûrement, et bien plus loin que ce à quoi on pouvait s’attendre. Le cas d’Hiroshi s’avère en fait loin d’être isolé. Il est ce qu’on appelle un hikikomori. Ce phénomène de retrait et d’isolement de la société toucherait près d’un million de jeunes Japonais (la plupart des garçons, souvent les aînés, habitant en périphérie des centres-villes). Le spectre du film s’élargit alors peu à peu du drame familial au fait social. Le tout se fait selon ce même mode descriptif, par touches quasi impressionnistes pour produire un paysage plutôt qu’une scène d’intérieur. Si le film part de situations réelles et montre des acteurs essentiellement non professionnels, touchés de près par le sujet (Hiroshi/Kenta Negishi est un ancien hikikomori, Sadatsugu Kudo fait partie du Centre d’assistance de la jeunesse et joue son propre rôle), à aucun moment, il ne pêche par des excès de vérisme outranciers. Laurence Thrush suit sa ligne, claire, le fil ténu d’une observation fine qui finit par émouvoir beaucoup sans violer le spectateur.

Réalisé en 2008, le film, après des passages en festivals, ne sort qu’aujourd’hui sur les écrans grâce au travail éclairé d’E.D. Distribution qui nous promet l’arrivée du second long métrage de Laurence Thrush (Pursuit of loneliness, 2012) pour 2015. On attend avec impatience.

Titre original : Tobira no muko

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Durée : 110 mn


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