Casanova, un adolescent à Venise

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“Casanova, un adolescent à Venise” dépeint une tranche de la vie picaresque de l’auteur-mémorialiste libertin de “Histoire d’une vie”, Giacomo Casanova. Cinéaste de “l’innocence perdue”, Comencini s’inspire des tableaux de genre du peintre vénitien Pietro Longhi pour leur insuffler le mouvement comme autant de saynètes croquant les moeurs dissolues de l’aristocratie de la république vénitienne au siècle des lumières le tout somptueusement enchâssé sur la toile de fond en trompe-l’œil de la lagune.

Ce sont les petits désirs qui rendent un jeune homme hardi” (Giacomo Casanova, Histoire de ma vie)

Une fresque picturale et picaresque qui insuffle le mouvement aux tableaux de genre de Pietro Longhi

Une gondole, frêle esquif d’un noir funeste, se fraye furtivement une voie au clair de lune à travers l’écheveau des canaux de la lagune vénitienne. A son bord, Giacomo Casanova a huit ans. Et Venise déroule, tel un ruban interminable, ses moirures diaphanes au clair de lune.

Luigi Comencini, en imagier scrupuleux, met en perspective la trajectoire de vie de Giacomo Casanova entre 1733
et 1742. Protégé de la haute bourgeoisie de son temps, Casanova , qu’on ne connaît pas encore, comme Don Juan, par son seul patronyme, s’insinue dans les bonnes grâces de ses mentors au sein des riches palazzi et au contact des familles patriciennes de Venise.

Une première trajectoire de vie difficile d’apprentissage et d’initiation

Enfant prépubère, Giacomo est souffreteux et malingre comme son père Gaetano Casanova, las de sa vie de bateleur ; et qui aspire à “se poser” afin de commercialiser son invention de lentilles pour longues-vues télescopiques. Giacomo s’apprête à être confié à sa grand-mère. Car sa mère Zanetta, comédienne volage et demi-mondaine fait aussi cruellement défaut à son éducation. Des images fulgurantes s’impriment dans la mémoire de l’enfant. Comme celle de la mort sanguinolente de son père signant le dernier acte tragique d’une mauvaise pièce macabre en public suite à une trépanation alors que son sort est entre les mains d’un médicastre prompt aux saignées.

 

Un décor fastueux en trompe-l’œil de la Venise du XVIII ème qui revit par un tour de lanterne magique

En quelques plans fluides sur cette péninsule lagunaire miroitante, Luigi Comencini réussit à planter un décor fastueux qu’il anime d’une vie palpitante. La “Sérénissime” est la véritable protagoniste de son film-panorama peint en trompe-l’œil reprenant fidèlement les notations que Casanova a consignées dans ses mémoires, à la croisée de son destin d’aventurier, avant qu’il ne devienne ce séducteur fripon et impénitent élevé au frontispice des mythes.

A l’instar du “Tadzio”de “Mort à Venise” de Thomas Mann adapté par Luchino Visconti en 1971, l’adolescent de cette fresque picturale fait figure de proue par sa beauté incarnée et le charme angélique d’une fausse ingénuité. L’enfant mutique est confronté à un monde adulte dont il observe les coutumes et qui va lui inculquer ce goût pour la frivolité. La première trajectoire de Casanova est faite d’apprentissage et d’initiation .

Les fastes du carnaval jouissifs dans leur frivolité

Avec la complicité de sa co-scénariste Suso Cecchi d’Amico sur ce biopic ambitieux, collaboratrice de Visconti, Comencini peaufine la préciosité du tableau. Il déroule les fastes jouissifs de fête perpétuelle qui se joue six mois de l’année à guichets fermés à la cité des Doges dans l’anonymat commode des masques adornés, les “bautas”.

La ville chatoyante de mille feux brûle la chandelle par les deux bouts et Giacomo se laisse dévoyer par ses atours comme si il était déniaisé par une fille de joie, charnelle et corruptrice ; ce qui arrivera fatalement à la fin du film alors qu’il commande de jeter sa défroque de séminariste.

 

Giacomo, confident des intrigues galantes de la bonne société vénitienne

Fruit de l’illégitimité parce qu’à peine reconnu par ses géniteurs, Giacomo est un rejeton délaissé et mal
aimé ; balloté qu’il est au gré des frasques et fredaines de sa mère Zanetta, inconstante et volage. Les pratiques ésotériques d’une guérisseuse sont formatrices en ce qu’elles font renaître à la vie l’enfant chétif qu’il est. A lui qui a du mal à sortir de sa mue et accoucher de l’adolescent prometteur, il est d’autant plus aisé de percer les intrigues du
monde galant qu’il devient le confident de la bonne société aristocratique et de ses faux dévots.

Enfant du hasard et de la fortune au sens de Providence, il va intriguer à la cour des nantis aux dépens des dupes. Au détour d’images d’Epinal fortes et de détails naturalistes qui frappent les esprits de cette époque où tout est prétexte à spectacle comme le théâtre de la vie au quptidien: l’arracheur de dents, le médecin -charlatan portant le coup de grâce au père de Giacomo en lui plantant un burin dans le cerveau, l’exhibition de foire du “monstrueux” rhinocéros “Clara”, une séance d’exorcisme pour endiguer l’hystérie d’une jeune fille surtout possédée par le démon de la luxure. Comencini croque les prémices d’un parcours de vie entièrement dédié au culte de la femme. Casanova n’est jamais si heureux comme Narcisse se mirant dans son propre reflet que quand il laisse les jeunes filles en fleur se pâmer d’amour pour lui; heureuses elles-mêmes. Pour épater la galerie et son parterre d’ admiratrices virginales, il devient un fringant prédicateur.

Un libertinage émancipateur

D’enfant abusé Giacomo abuse à son tour avec la bénédiction du clergé qui encourage ce libertinage émancipateur. Car, pour Giacomo, le libertinage est le seul moyen pour un roturier de sa condition d’échapper à une vie hypocrite d’obéissance et de servilité à laquelle le voue son extraction sociale.

Ce qui fascine est le soin extrême apporté aux costumes et aux détails de raffinement vestimentaire de l’époque comme ces perruques incommensurables, toupets dérisoires, portées comme un symbole du rang social affublant la calvitie des élites patriciennes qui se couvrent dans le même temps d’un ridicule achevé comme dans les pièces de
Goldoni, le Molière de la péninsule italienne. Casanova enfant retarde la découverte d’une sexualité débridée dont Casanova adolescent s’affranchira aisément en reniant la vocation qu’on lui prête à devenir ecclésiaste.

C’est ainsi que le 12 septembre 1742 Casanova renonce définitivement à sa carrière de calotin pour embrasser celle de libertin.

Titre original : Infanzia, Vocazione e Prime Esperienze di Giacomo Casanova veneziano

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Durée : 109 mn


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