Cannes hors-les-murs : Reprises « Quinzaine des Cinéastes »

Article écrit par

« Regardez le soleil ! »

À Paris, il fait 35 degrés pétantes, les 12 et 13 juin, et les citadins et les touristes qui veulent sortir, doivent accepter d’inhaler l’air embrasé et aride de rues pavées et bardées d’immeubles qui conservent la chaleur. Autant dire que, pour ce début des rediffusions de la Quinzaine des Cinéastes à travers la France, les salles obscures ne sont guère fréquentées que par les plus assidus des cinéphiles, les spectateurs qui préfèrent les climatisations de cinémas à celles de bars bondés ou de galeries commerciales… et l’entourage des divers techniciens et artistes derrière les longs-métrages, attendu que ces séances reprises, dans la capitale, sont souvent leur première possibilité de voir les films finis (les frères de la réalisatrice Julia Kowalski, les copains qui appellent l’acteur Samuel Kircher « Sammy » en le voyant… ont ainsi pu féliciter leurs proches pour leurs accomplissements créatifs, dans plusieurs salles). Jeudi dernier, au Reflet Médicis, le chef-opérateur Arnaud Guez était venu visionner le premier long-métrage sur lequel il a travaillé, La Danse des renards, et a fait une petite photo de l’écran, lors de la scène d’ouverture. L’idée de capturer une version dégradée, nécessairement mal éclairée d’un travail qu’on s’est forcé à rendre esthétique pendant et après 32 jours de tournage paraît contre-intuitive – il faut pourtant le dire, le film se prête bien aux mises en boîte et en abime, dans la mesure où son ratio d’image très resserré, presque carré, semble être enfermable dans un casier.

Guez et le réalisateur Valéry Carnoy ont déjà travaillé ensemble, sur le court-métrage Titan, dans lequel ils mettaient en images les jeux dangereux de jeunes ados dans des arrière-cours et dans des logements sociaux belges, qui ont la particularité, par rapport à leurs équivalents français, d’être larges et étalés, des communautés de labyrinthes. Dans La Danse des renards, les deux hommes prolongent leur dissection des masculinités et des compétitions, cette fois-ci dans les milieux des internats sportifs et de la boxe française, mais la sauce prend beaucoup moins, transposée dans un horizon plus petit, plus coché,  plus casé. Kircher est le seul acteur professionnel d’une petite troupe qui s’est formée autour de comédiens amateurs, castés à la sauvage pour leurs talents en arts martiaux, et s’il s’acquitte bien de scènes intenses, dans lesquelles le paradoxe du boxeur encadré (à la fois symbole de puissance et être vulnérable, dans la mesure où on doit essuyer son visage pour lui, et lui servir à boire à la paille, le biberonner) est rendu palpable, il échoue finalement à rendre totalement satisfaisante une production où rien n’a été fait à l’arrache mais où tout a été pensé à la réduction.

Les combattants suent à grosses gouttes – les publics estivaux, aussi, mais il y a peu de moments de liberté et de grand frisson, dans La Danse des renards, tout ou presque y est économe et insérable dans des espaces ou des logiques narratives carrées, qu’il s’agisse de celles du ring, de la chambre d’internat, ou de la vidéo au téléphone réalisée pour une amie.

Même « l’arbre à viande », un petit coin de forêt où le héros et son meilleur ami s’amusent à appâter et à filmer des renards, censé être un endroit rafraichissant et loin de tout, appartenant à seuls leurs rêves juvéniles, a été créé, pendant le tournage, sous une cage, comme quoi la majorité des éléments qui font la matière du film finissent bien par ramener à une nature cadenassée. Titan était un film où les apparences étaient trompeuses (Carnoy y montrait, entre autres, un bouledogue à l’allure de chien de garde méchant se comporter de manière très douce) – La Danse des renards est un film « sur la destinée » (ses termes), avec tout ce que cette dernière peut avoir de bordant, de bridant et de cernant.

De son côté, après la projection de son film franco-polonais Que ma volonté soit faite, Kowalski et sa comédienne principale, Maria Wróbel, étaient surprises et heureuses de voir que la répétitrice des textes en français, Annie Boucherie, et le distributeur de chez New Story étaient présents dans la salle. À la fin du générique, elles les ont invités en bas de l’écran avec elles et, entre autres, le compositeur Daniel Kowalski, pour participer à une petite session questions-réponses.

Une sorcière comme les autres.

Julia Kowalski considère que son film est un assemblage de références américaines des années 70 et polonaises des années 80 : Les Chiens de paille de Peckinpah rencontrent Le Décalogue de Kieslowski et le Possession de Zulawski, le tout sous un parfum (certains spectateurs le lui ont apparemment soufflé) chabrolien, avec l’observation froide, clinique de la vie de travailleurs en campagne – ici, une famille d’éleveur de vaches. Le film est intéressant à mettre en dialogue avec le dernier long-métrage d’Emma Benestan, et travaille, en Vendée et en argentique, comme Animale le faisait en Camargue et en 4K, la métaphore de bovins, dont la force interne, secrète et résiliente, serait esthétiquement féminine. Hélas, Que ma volonté soit faite veut sans doute être trop de choses à la fois : Kowalski nous apprend qu’en plus de l’empilement d’inspirations, il y a aussi eu un empilement d’acteurs et d’actrices. Tous ont été distribués « un par un », en partant de Wróbel comme case départ (déjà l’héroïne du court-métrage de Kowalski, J’ai vu le Visage du diable), et en cherchant ensuite les personnages du père, des frères, des voisins, etc. Il est naturel, dans ses conditions, que de nombreuses choses paraissent être « de trop » dans l’œuvre, notamment les personnages de Raphaël Thiéry et de Jean-Baptiste Durand (également seconds rôles dans La Danse des renards), qui rendent encore un peu plus glauque un monde déjà fait de chair fondue et de sorcières en attelle, et certains dialogues, qui en font des tonnes (« Non ! Pas ça ! Non !! Pas ça !! »).

Carnoy et Kowalski sont tous les deux des artistes ambitieux, pourtant, dans un temps caniculaire, on aurait préféré des ventilateurs, elliptiques et délibérés, au casque entravant de l’un et à la lourde tour de dominos de l’autre. Les deux films sont très programmatiques : La Danse est chorégraphiée, calculée, et Que ma volonté ne se justifie de rien, tout ce qui s’y déroule y advient, y descend des cieux comme le Saint-Esprit, d’une façon qui peut paraître arbitraire. Ils auraient gagnés à être plus aérés.

À quelques 240 kilomètres de là, dans l’agglomération de Caen-la-mer, la météo est plus clémente, les publics, moins issus de la « boucle » interne du monde de l’audiovisuel. C’est au Café des images, un cinéma d’art et d’essai d’Hérouville Saint-Clair (terminus du tram au nord), que le délégué général de la Quinzaine, Julien Rejl, propose la reprise dans le département du Calvados, depuis quelques années. (En Normandie, la seule autre reprise a lieu à l’Omnia République, dans la ville de Rouen). Nous avons rencontré Élise Mignot, la directrice de cette salle, qui nous a renseigné sur les conditions d’élaboration d’une telle rediffusion : les choix de films doivent être faits dans la foulée du festival de Cannes, afin de pouvoir commencer à communiquer efficacement sur l’événement, et de s’arranger avec les distributeurs le plus vite possible.

Certaines décisions paraissent évidentes, poreuses avec le reste de l’histoire de l’établissement : Quand elle diffuse Classe Moyenne ou Oui, l’équipe du Café s’assure que ses spectateurs puissent prolonger les réflexions cinéphiles qu’ils ont dû avoir en voyant les réalisateurs Antony Cordier et Nadav Lapid y intervenir, pour des rencontres en 2018 et 2019. Quand elle projette Indomptables en soirée d’ouverture, elle garantit que l’invitée aura de belles choses à en dire. La conférencière Meera Perampalam a sûrement présenté le film en utilisant deux cordes qu’elle a à son arc : Son expertise de l’évolution des comédies françaises (elle donne un cours, à l’université de Caen, sur ce monde d’où vient Thomas Ngijol) et son analyse des rapports qui lient les images aux dérives sécuritaires et autoritaires des gouvernements (Qui a le droit de participer à la circulation des médias et des récits, dans les pays émergents ? Les forces de l’ordre : dans Indomptables, des policiers parlent de Francis Ngannou, héros national, et de ses matchs qu’on peut aussi regarder par IPTV illégale).

D’autres décisions sont plus spontanées, holistiques. Le Café des images est aussi un lieu associatif, solidaire, et il s’impose d’écouter les commentaires et suggestions de ses habitués. Ainsi, Mignot a choisi de programmer Miroirs n°3, film allemand qui ne figurait au départ pas dans sa sélection de la Sélection, parce qu’un jeune spectateur le lui a demandé. Miroirs n°3 a été diffusé le dimanche 15 dans la « salle à fleurs » du Café, décorée d’un opulent papier peint à motifs de roses, et l’atmosphère végétale s’accordait bien à ce récit champêtre, qui, comme Sorry, Baby, se déroule dans une maison et dans un écart.

La nurserie éternelle : Dépasser le « stade du miroir ».

Dans plusieurs films de cette édition de la Quinzaine, des protagonistes se retrouvent soudainement contraints à prendre soin de quelqu’un ou de quelque chose d’autre, à lui donner de l’attention (dans Sorry, Baby, l’héroïne adopte un chat errant trouvé dans la rue et doit baby-sitter le nourrisson d’une amie ; dans Les Filles Désir, on suit quelques jours dans la vie d’Omar, un jeune homme tenu d’être un papa, un héros, un nounours pour son groupe d’amis, et de sa fiancée Yasmine, forcée d’être la gardienne du gardien, la Cendrillon d’une Cendrillon). Miroirs n°3 ne fait pas office d’exception, puisqu’il raconte l’histoire d’une mère déprimée qui, témoin d’un accident de voiture, accepte immédiatement et sans explications d’être mise en charge de la jeune femme qui en fut victime, et de la faire vivre chez elle pendant dix jours. (S’en suivent des péripéties calmes et satinées, impressionnistes, en un sens – il ne se passe rien de « grave », dans Miroirs n°3, tous les personnages semblent y être très conscients et très acceptants du fait que le pire est déjà passé. Même quand le fils adulte de l’infirmière improvisée chute à vélo, il se rattrape instantanément).

Au cinéma, 2025 sera peut-être l’année où la parentalité devient flottante, immanente. Ce n’est pas tellement qu’elle est omniprésente, c’est qu’elle peut surgir de nulle part, que n’importe quel événement peut nous mettre en demeure de nous soucier les uns des autres, de nous protéger et de nous construire mutuellement. Miroirs n°3 participe de cette tendance d’une façon d’autant plus belle qu’elle la rend explicite : la création d’une filiation entre Laura (Paula Beer) et Betty (Barbara Auer) est tellement soudaine qu’elle paraît surnaturelle, magique, prolongeant un travail sur des logiques de contes que fait le réalisateur Christian Petzold (Ondine, Le Ciel Rouge).

À la boutique du Café, on peut acheter des carnets de notes à et des cabas qui reprennent le visuel des affiches de la Quinzaine de cette année, dessinées par Harmony Korine, lesquelles représentent des bonshommes jaunes et rouges dont les formes rondes et les yeux écartés ont quelque chose de subadulte. Ces figures juvéniles évanescentes renvoient à l’imagerie des films que le génie de la provocation signait dans les années 90, Gummo ou Julien Donkey-Boy, et nous prouvent que la rencontre est plutôt heureuse, entre un cinéaste passionné d’enfants en flous, en vapeurs, et une programmation fascinée par des parents en apparitions, qui se condensent, se matérialisent et se volatilisent. Le film Amour Apocalypse nous donne une piste de réflexion, quant à ce qui justifie ce glissement d’une génération de cyniques et de livrés à eux-mêmes (celle des années 90) à une génération de surpris et de tuteurs tirés au sort (celle des années 2020) : La crise climatique est sur le pas de nos portes, et elle nécessitera de nombreuses personnes qu’elles s’occupent d’animaux, tels des Noés modernes (Adam, le héros du long-métrage, est propriétaire d’un chenil), et qu’elles s’intéressent aux petits des autres (son spleen parle à celui de Rose, la fille de son amie Tina). « Regardez le soleil ! », semble nous dire la réalisatrice Anne Émond, quand elle choisit d’ouvrir son récit sur l’achat d’une lampe thérapeutique par son protagoniste. Parce que la vie est trop courte pour se priver, même la nuit, de beauté – et parce que, bientôt, il risque de ne plus y en avoir, de soleil. Le film Enzo, quant à lui, nous donne la parfaite métaphore sensible de ce contingent d’enfants perdus, qui échappent des mains et des yeux de leurs parents, pour tomber dans ceux d’autres mentors. Avec ses grosses joues poupines, ses lèvres roses, sa coupe en dégradé, facilement ébouriffable, et les grandes poutres en bois et bacs de peinture qu’il est invité porter, Enzo (Eloy Pohu) ressemble à une figurine Lego, travaillant maladroitement sur un petit angle de salle de bain, jusqu’à ce qu’on l’attrape par la tête et qu’on le balance dans les bras de Vlad (Maksym Slivinskyi), maçon ukrainien qui devra apprendre à l’écouter et le gérer malgré la difficile interférence de l’irrépressible attirance du jeune homme. Le père d’Enzo (Pierfrancesco Favino) aimerait que son garçon n’ait pas besoin d’autre modèle que lui : hélas, il est déjà exclu de la vie de celui-ci. Un plan en plongée sur Enzo en train de nager, dans un petit bain naturel du parc des Calanques, montre que la position du paterfamilias est bienveillante, surveillante, surplombante – en bref, possible uniquement à distance.

Enzo a besoin de quelqu’un qui vienne du présent et de la chair. Pas de quelqu’un qui tienne de l’analyse et du téléscope. (En outre, dans le cadre de la Quinzaine au Café, le film « de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo » a été présenté par Milann et Nino du Ciné-Club de Caen, le jeudi 19. Les spectateurs ont bien répondu à la perspective d’en apprendre plus sur une oeuvre-testament, la jauge était plutôt remplie. Le public était majoritairement quadra ou quinquagénaire, mais pas exclusivement, et il semblait captivé par l’échange qui a eu lieu à la fin du film, dans lequel les deux intervenants sont revenus sur la question des transfuges chez Cantet, son attachement pour la ville de La Ciotat, et le rapprochement qu’on pouvait faire entre Enzo et Les Appaches, de Thierry de Perreti).

Voyages d’influences : l’art en import-export.

Sur le parvis du Café des images, et sur celui de la Place de l’Europe, prolongée quelques dizaines de mètres plus loin, une œuvre d’art représente une grosse caméra grise analogique, et fait écho à sa sœur, qui représente une grosse caméra noire. Quand on se promène dans le quartier, et qu’on les remarque l’une après l’autre, on se dit que c’est comme si cette paire d’appareils dialoguait ensemble, se répondait, et qu’il devait être possible de tisser entre les deux un lien de pellicule invisible, qu’on aurait alors le choix de rembobiner ou de débobiner selon l’humeur pour faire et défaire l’histoire de ces rues. Le champ-contre-champ symbolique fige la ville d’Hérouville dans sa dualité, dans sa complexité, puisqu’elle est d’un côté, l’endroit où se développent des dynamiques très volontaristes (pas seulement au niveau de programmations filmiques – si on continue de marcher, on peut se rendre à la Comédie de Caen, sur le Square du Théâtre, et à L’Atelier, sur la rue de Tikhvine, salle où furent organisés, entre autres, un ciné-concert et un escape game, lors de la dernière Fête du Court-Métrage), et, de l’autre, une cité ouvrière où des familles et des jeunes trainent ou s’ennuient, attendent leurs copains ou les transports. Hérouville est une commune qui a été marquée par les différents flux migratoires qui firent de la France ce qu’elle fut à la fin du siècle dernier (les personnalités les plus connues qui y ont grandi en témoignent : le slameur Aïssa Mallouk, le journaliste Raphäl Yem, et l’acteur-réalisateur Jean-Pascal Zadi), c’est donc une ville, à son échelle, ouverte sur le monde, et à leur plus engagé, les actions menées par le Café des images tentent de refléter cette diversité. Élise Mignot, qui a travaillé, avant de débarquer dans le Calvados, en Indonésie et à Maurice (où elle a été attachée de presse sur le long-métrage Lonbraz Kann, du peintre David Constantin), croit en l’intérêt de faire exister un cinéma transnational en France, et c’est aussi pour cette raison qu’elle a choisi d’ouvrir sa version de la sélection sur un film camerounais et un apéro ouest-africain, et de la clore sur un film irakien et un goûter nord-africain. Pendant une semaine sur la Quinzaine, elle s’est d’ailleurs rendue à Paris pour des rencontres professionnelles avec le SCARE et l’ACOR, et on imagine qu’elle a continué d’y défendre sa vision d’un corps d’exploitants qui cultive et entretient, qui estime que « trouver son public » n’est pas le travail des films mais des salles – et qui, peut-être, peut éviter que des actes manqués cinéphiles ne continuent de se produire. Zadi, par exemple, dans sa préface du livre « Ciné Illimité », des éditions Marabout, disait ne pas avoir eu l’impression que le septième art était « pour lui » dans son enfance, et racontait n’être entré dans cette passion qu’à travers la télé, alors que le Café ne devait pas être très loin de son quartier.

Même si la promesse de la programmation n’a pas encore eu le succès escompté, cette année (le pass pour les 12 films a été très peu vendu), la Quinzaine au Café est un pas et un planisphère, pour les habitués – une ouverture et une longue-vue, au sein de laquelle un film français débouche sur d’autres films français (la réalisatrice des Filles Désir, Princïa Car, a rencontré ses comédiens en animant des ateliers de théâtre dans un quartier « nord », à Marseille, et elle y a donné une passion du jeu à Malou Khebizi, actrice principale du film Diamant Brut ; le film comporte une brève apparition du comédien Bilel Chegrani, ami de la « bande » de Car et acteur dans des films de sensibilités voisines : Mignonnes, Fragile, Petites, Arthur Rambo, de Laurent Cantet), un film québécois, sur d’autres films québécois (Amour Apocalypse a des zooms qui font penser à ceux de Babysitter, et fait apparaître des acteurs et le co-scénariste de On dirait la planète Mars ; même les plans répétés sur Patrick Hivon, regardant à travers des lunettes de soleil sa source de lumière artificielle et guérisseuse, font penser à l’affiche du Successeur, de Xavier Legrand), un film américain, sur un film espagnol et un fim japonais, sur un film suédois (les cinéastes Eva Victor et Yuiga Danzuka disent s’être inspirés, respectivement, de Y tu mamá también, Almodovar et de Turist, Östlund).

Les années précédentes, les dates précises et les rythmes de projection des films repris étaient fixés par l’institution Cannoise, qui tâtonnait encore dans les itinéraires de décentralisation qui allaient l’amener à l’autre bout de la France. Cette année, plus de mou a été accordé aux multiples salles et à leurs directions : une confiance est en train d’être gagnée, un circuit de diffusion est en train d’apparaître. Est-ce à cause de l’édition annulée par la pandémie, et de la concurrence des plateformes, que les films Cannois ont du réinventer leur vie avant la vie ? C’est possible. En tout cas, ces nouvelles reprises de la Croisette sont en train de suppléer et de venir épaissir l’écosystème déjà formé par les traditionnelles (c’est-à-dire, les festivals qui arrivent directement après Cannes et qui en reprennent les films : Samedi 14, Princïa Car est allée présenter Les Filles Désir au festival de Cabourg avant de faire 30 kilomètres par l’autoroute et venir en parler au Café. Pendant ce temps, en Île de France, les salles se préparent à accueillir le cycle d’avants-premières organisé annuellement par les les Cinémas Indépendants Parisiens, et le Champs Élysées Film Festival. Ces deux calendriers comportent des films qui ont connu leurs premières avant-premières à Cannes).

Ce dimanche, le Café des Images proposera ses deux dernières séances de la Quinzaine des Cinéastes. L’Engloutie, de Louise Hémon, passera à 15h, et promet d’avoir une magnifique direction de la photographie enneigée par Marine Atlan (également responsable de celle du Ravissement et de l’excellent court-métrage Romance, Abscisse et Ordonnée). The President’s Cake passera à 18h, et ferme la reprise sur une note de choc : Le film d’Hasan Hadi a reçu la Caméra d’Or des mains d’un jury dirigé par la réalisatrice Alice Rohrwacher. 

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…