Tel est l’art de Gilderoy, interprété par Toby Jones, un ingénieur du son chétif et timide, fraîchement débarqué d’Angleterre. Habitué à bruiter la brise légère et le cui-cui des moineaux de documentaires naturalistes, sa perplexité face aux images tournées par Santini (Antonio Mancino) transpire à l’écran, plaçant le spectateur dans une ambiance inquiétante. Devenu chef d’orchestre d’une partition aux notes sanglantes, Gilderoy se met à côtoyer, épaulé par Francesco (Cosimo Fusco) et deux techniciens crasseux, pastèques et courgettes avec une moue écœurée. Le voir jeter au sol et lacérer de coups de couteau ces fruits et légumes dans un fracas juteux (jusqu’à obtenir le bruit parfait) révèle quelques instants d’humour qui ravivent un scénario en proie à quelques lacunes et longueurs. Gilderoy, dans une rengaine lancinante, traverse les couloirs silencieux et froids du studio en quête de remboursements de frais de transport ou de bureaucrates absents. Son pas lent et feutré, sa bouche tombante, légèrement entrouverte, son regard fatigué ne font qu’accentuer un effet d’ennui, un sentiment dévastateur sur une psychologie déjà bien entamée. Dans ce monde d’hommes où le recours aux mains est chose commune, les femmes, elles, crient. Les limites de leur glotte vibrante leur font défaut, anéantissant en un son leurs périodes d’embauche. L’Anglais, attristé par ce turnover féminin, tente tant bien que mal de s’attacher voire de happer quelques touches d’affection. Seuls instants rassurants dans Berberian Sound Studio, ces madeleines de Proust venues d’Angleterre : les lettres de sa mère et ses enregistrements de bruits du quotidien.

La mise en scène astucieuse de Peter Strickland compense subtilement l’absence d’images des films d’horreur vues par Gilderoy par l’utilisation des codes du genre : gros plans sur la rétine nerveuse, zoom arrière, craquements de plancher, grincements de porte, silences prolongés … Berberian Sound Studio privilégie le détail par des frappes chirurgicales cinématographiques. La caméra s’attarde sur le voyant rouge lumineux et percutant du "Silenzio", le roulement de la pellicule insérée dans le projecteur ou encore le réglage des potards et autres faders. Les coulisses ainsi dévoilées offrent une vision intime du cinéma d’horreur, où l’humour côtoie la fantaisie, rappelant au passage qu’il n’est question que de cinéma.