Autant le dire tout de suite : Avatar impressionne. Certains puristes pourraient pourtant s’indigner, car s’il est évident qu’il représente une avancée technologique importante dans l’histoire du cinéma, il entraînera (peut-être) aussi des conséquences des plus fâcheuses. Au-delà d’ailleurs de cette seule avancée, il s’agit bien plus en réalité d’une affirmation de cette technologie qui, à quelques détails près, existait déjà. Certains apports comme l’évolution de la motion capture (ce système permettant de calquer des gestes humains sur des animations de synthèse) sur les visages, les mouvements musculaires ou l’expression des yeux, représentent de fait une gageure de premier ordre – qui plus est, réussie ici. Car, en un mot, Avatar est une réussite.
On pouvait s’attendre à tout. L’ampleur du projet (300 millions de dollars investis), l’attente suscitée, le fait que son réalisateur se soit peut-être endormi depuis douze années sans réalisation, la promotion gigantesque, etc : le pire comme le meilleur pouvaient être envisagés. Mais très vite, quel que soit notre niveau d’information, d’attente ou de non-attente de l’objet, le pur produit filmique balaie rapidement tous ces éléments. Passée la surprise d’un monde en 3D, passé ce moment où l’on se dit qu’on y est, on se rend compte que Cameron s’entend parfaitement à emmener tout son petit monde avec lui. Dix minutes lui sont largement suffisantes pour nous faire oublier tout ce matériau extra-filmique. On est dedans, visuellement comme cérébralement. La principale force d’Avatar, c’est qu’à aucun moment la narration ne viendrait à faire oublier l’expérience esthétique nouvelle qu’il est censé être. Cameron sait que l’affirmation de la 3D ne pourra passer qu’en la « promouvant » en une seule et même mouvance et intègre donc cette découverte, ce nouveau monde (son film pourrait être considéré comme une version high-tech du Nouveau Monde de Malick, au moins jusqu’à sa résolution narrative en tous cas) à son intrigue.
Ainsi, l’histoire seule, contée comme elle aurait pu l’être encore dans la décennie des années 2000 (il va falloir s’y faire, Avatar, c’est la décennie 2010 qui frappe déjà à nos portes), avec tous les choix d’angles de caméras, la durée des plans, les gadgets de synthèse éventuellement – mais sans la 3D, donc –, ne serait que celle d’un film d’action convaincant, sans grande innovation, d’une fable écolo-mystique, un brin décevante peut-être de la part du réalisateur de Terminator, Titanic ou Aliens. Mais cette accumulation de technologie(s) (inutile de les dénombrer ici, tant elles affluent) rend la fable écolo un brin caduque, la transformant en chose autre.
Bien que l’oeil ne se lasse mystérieusement pas de ces images (là aussi réside une grande force du film : tenir son esthétique sur la durée, par le biais d’une poussée vers toujours plus de réalisme dans ce champ visuel de l’artifice qu’est le cinéma, et à une réinvention de chaque instant d’une faune et d’une flore jamais en rade d’imagination), on nous bombarde de créations visuelles issues de logiciels, passées à la moulinette de microprocesseurs ultraperfectionnés. Cette faune, cette flore, ces personnages, ce monde, ce film, aussi crédibles soient-ils, sont faux. Il ne s’agit pas là d’un rappel à ce qui est une évidence, mais bien à une corrélation entre le propos du film et ce qui nous est montré : le personnage principal ne se battrait alors plus pour une culture, un peuple, une planète, un arbre, des plantes sacrées, des animaux en voie de disparition mais bien pour leur opposé : la nouvelle technologie, promue 2h40 durant.
Avatar est un outil promotionnel d’exception pour l’affirmation des nouvelles technologies telles que la 3D au sein du septième art. Car derrière le propos écolo se cache, pigment après pigment, octet après octet, l’émergence d’une économie et d’une esthétique nouvelles qui comptent bien s’imposer durablement sur nos écrans. En cela, la narration de Cameron est foutrement bien ficelée. La manière qu’il a de nous prendre par la main, préparant le terrain d’une transformation de son personnage principal, faisant de lui un handicapé (l’être de chair devra revêtir un corps de synthèse pour pouvoir appréhender cette planète inconnue), sa façon de nous rendre sensible à sa destinée, de nous initier, que ce soit lui ou nous, à l’hybridation qui va s’opérer, est, a posteriori, exemplaire.
Sans relief, le film ne serait qu’un blockbuster un peu vain, quelque part entre Pocahontas et Aliens, mais pas forcément mauvais (Cameron n’a rien perdu de sa maîtrise des grosses ficelles narratives). Avec relief, l’intrigue se tourne dès lors toute entière vers ce « monde nouveau », ce Pandora, cette boîte de Pandore informatique. La forêt, la planète sont plus données à voir comme le fruit d’une nouvelle technologie immergente que comme une imagerie idyllique de la nature. Ces schtroumpfs géants et longilignes ne sont pas de simples pantomimes dessinées, des mimiques re-produites ou des moues usurpées. Quelque chose perce sous l’écorce numérique.
Qui en doutait, finalement ? Cameron est un grand faiseur, un grand conteur, et sait exactement ce qu’il fait, et comment le faire. Revenir après douze ans d’absence et prétendre toujours être le « roi du monde », cela n’aurait pu se passer autrement que par une histoire finalement déjà connue de tous, que l’on reconnait mais que l’on a jamais vue comme ça : celle d’un monde inconnu, dont le héros découvre pas à pas les bienfaits, la diversité et la richesse. Sa découverte devenant alors nôtre.