Bien qu’ancré dans une forte réalité sociale, le film débute comme une sorte de conte où Tao, l’héroïne, partagée entre l’amour que lui portent Liangzi l’ouvrier et Zhang le nouveau riche à l’insatiable ambition, se retrouve contrainte à faire un choix – entre deux hommes, mais aussi entre deux visions du monde. Cette première partie forge le destin d’une femme qui souffrira jusqu’à la fin de sa vie des répercussions engendrées par sa décision : séduite par ses promesses d’ascension sociale, Tao épousera finalement Zhang. Ce n’est qu’à partir de son deuxième tiers que le film dévoile son véritable cœur : le lien filial. En effet, de l’union éphémère entre Tao et Zhang naîtra un fils, dont le père conservera la garde par la suite. L’une des plus belles idées du film, c’est de finalement ramener son travail du temps à une problématique d’espace – au fur et à mesure de l’avancée du récit, le spectateur ne fait qu’assister à l’éloignement inéluctable, la distance qui se creuse au fil des ans, entre une mère et son fils. Cet arrachement vis-à-vis de la figure maternelle se redouble d’un déracinement de la terre natale dans le derniers tiers, quand père et fils émigrent en Australie.
Par le biais de ce nouveau personnage, Jia Zhang-Ke entre de plain-pied dans une peinture sociétale emprunte d’amertume sur les méfaits du capitalisme et de la mondialisation. Seulement, il peine à inscrire une vision forte du monde contemporain au sein de sa trame mélodramatique. Ainsi, la dernière partie du récit, où cette rencontre se veut la plus prégnante, est assurément la moins réussie – le fond du propos s’y révélant sans grande subtilité. Si Au-delà des montagnes est une œuvre qui travaille les matières du temps, du souvenir et des sentiments avec une finesse d’orfèvre, elle se repose sur des motifs plutôt grossiers quand il s’agit de confronter deux mondes. D’un côté, le traditionnel, avec ses ouvriers dignes, ses sentiments nobles et ses savoureuses spécialités culinaires ; de l’autre, l’univers mondialisé, gouverné par l’argent et l’obsession de la réussite, où la froideur prédomine (baies vitrées, téléphones transparents) et les armes sont en vente libre. De même, la romance du fils avec une mère de substitution, elle aussi exilée de ses racines, peine à convaincre, tant la symbolique semble prendre le pas sur la vérité de la situation.
Jia Zhang-Ke a néanmoins la délicatesse de conclure Au-delà des montagnes sur un moment de pure beauté où s’exprime, à la faveur d’un cut magnifique, ce lien indéfectible entre Tao et son fils par-delà la distance – et le récit de rebondir d’une plage australienne à une campagne chinoise enneigée, d’un jeune adulte qui se cherche à une femme vieillissante qui n’exalte plus l’espoir que comme un lointain souvenir.