Le dernier film de Brillante Mendoza nous laisse dans une perplexité que ne suscitait pas de cette façon son précédent long métrage, Ma’Rosa (2017). On y retrouve pourtant le même saisissement du réel à travers une plongée dans la ruche de la capitale philippine, et les rues gangrénées de pauvreté des bidonvilles de Manille, filmée avec une caméra à l’épaule collante, comme attachée à ses protagonistes. C’est une sensation très physique et presque éreintante qui accompagne l’ensemble des séquences dans les dédales labyrinthiques des rues, ces souterrains blafards et jaunis souvent filmés de nuit, rendus avec le même grain photographique épais.
A ceci près que dans cette nouvelle œuvre, le cinéaste ne suit plus une femme, la « Ma’Rosa » du titre, dans les rues de sa ville, qui faisait tous les compromis pour survivre avec sa famille. De la lutte pour la survie comme seule loi, il est plus que jamais question dans Alpha-The Right to kill, mais Brillante Mendoza le représente ici en mettant en parallèle deux personnages qu’a priori tout oppose : un jeune dealer qui peine à joindre les deux bouts (Elijah Filamor) et devient l’indic d’un officier de police (Allen Dizon), l’aidant dans sa mission pour faire tomber un gros trafiquant de drogue de la ville. Ce sujet s’inscrit encore plus directement dans la société philippine car il fait écho à la « guerre contre la drogue » promise et menée par le président Rodrigo Duterte depuis son élection à la présidentielle en 2016, campagne contre les trafiquants qui, selon plusieurs organisations des droits de l’homme, aurait déjà fait plusieurs milliers de morts en moins de deux ans.
Si le réalisateur a clairement pris position en faveur du président, renvoyant les critiques occidentales à une méconnaissance des réalités sur le terrain, son dernier film, avec l’intelligence de sa mise en scène, livre une représentation de « la pègre » plus floue, dans la mesure où les deux personnages, le jeune dealer et le policier, sont tout au long de l’œuvre filmés avec un même regard, à la loupe, dans des plans de parallélisme qui rapprochent leurs destins plus qu’ils ne les éloignent (la lutte pour faire vivre sa famille, la corruption). Alpha : the right to kill devient alors une sorte de champ contre champ narratif et cinématographique entre les deux hommes, suivant une trajectoire commune, au-delà du lien de subordination de l’un à l’autre. C’est une réalité implacable que filme Brillante Mendoza, qui laisse ses deux personnages couvés dans une loi de la jungle de pure survie où l’intégrité n’est pas de mise, tant est si bien que l’oeuvre se traverse comme un cercle infernal impossible à interrompre. Il manque à ce constat un regard qui viendrait éclairer ce tableau de manière moins équivoque.