Ma’ Rosa

Article écrit par

Le film de Brillante Mendoza donne la sensation d’une immersion vive dans le quotidien des rues pauvres de Manille.

Vivres à l’écran

Ma’Rosa s’ouvre et se ferme sur la nourriture : le film débute sur le tapis de caisse d’une épicerie aux couleurs vives, les courses de  Ma’Rosa roulent avant de déborder de quelques sacs plastiques sous la lumière des néons blafards. Un problème sur le compte final est évoqué. Un peu plus tard, les courses sont réparties à la maison sous une affiche religieuse « The Last Supper » (Le Dernier Repas), symbole appuyé s’il en est. D’emblée, caméra à l’épaule, Brillante Mendoza entraîne le spectateur dans un univers brut et organique : se nourrir, avoir de quoi vivre, données essentielles du quotidien. C’est pour joindre les deux bouts dans cette survie alimentaire que Ma’ Rosa et son mari revendent en douce des narcotiques depuis leur minuscule échoppe, vivant quasiment dans la rue. Dénoncés un soir de fin de semaine, tout deux sont retenus dans un poste de police au personnel corrompu et bénéficient du seul week-end pour réussir à marchander leur libération avec l’aide de leurs enfants.
 


Plongée dans un microcosme philippin

Cette course contre la montre, ramassée sur quelques heures et rendue comme en temps réel à l’écran, vient redoubler la course pour la nourriture annoncée à l’orée du film. Dans les rues grouillantes des bidonvilles de Manille, les mêmes que filmaient Lino Brocka dans Insiang (1978) – long métrage important ressorti en version restaurée au cinéma cette année -, le cinéaste fait déborder le cadre, le remplit dans tous les coins. Etals de marché à la nuit tombée, individus disséminés partout, un véritable microcosme fourmillant où règne la promiscuité et qui, filmé en caméra portée, donne le tournis, renforce le caractère haletant de l’urgence de toues ces vies. L’image s’imprègne de sensations olfactives et sonores, grâce à un réalisme documentaire marquant, une âpreté visuelle : des chromes chauds, d’un jaune cireux, éclairent les rues étroites et boueuses, des fumées s’échappent de préparation de brochettes de boudin ou de poissons grillés, amenant des odeurs diverses ; moiteur de l’air et fond sonore aigü de mouvements de vie, de bruits d’objets ou de paroles échangées envahissent l’espace.
 


Habitants du réel

L’imminence de cette existence rudimentaire transparaît dans les séquences d’un commissariat négligé, au personnel exploiteur, le cinéaste collant toujours au plus près ses personnages. Dans des pièces poisseuses, dans les couloirs, on brocante sa liberté et son pain journalier comme à l’extérieur. Jaclyn Rose, prix d’interprétation féminine à Cannes, accompagne cette mise en scène au vitriol, animée d’un maintien digne, dépourvu d’éclat ou d’apitoiement, sans jamais courber l’échine. Le cinéaste filme la débrouille au jour le jour, sans horizon particulier, d’une grande partie du peuple philippin. Les enfants de Ma’ Rosa parcourent les rues de Manille avec courage pour récolter l’argent qui fera sortir leurs parents. Derrière cette réalisation sans ambages ni fioriture, Brillante Mendoza pourrait donner l’impression de ne réduire son film qu’à l’illustration du quotidien précaire de ses personnages. L’œuvre pourtant, dans son économie et sa précision sensorielle, son impossible catégorisation (ni documentaire, ni fiction véritable) esthétique, laisse une empreinte vivace après sa projection. Le temps d’un film qui, à travers le rôle principal qui lui donne son titre, refuse l’inertie, ne serait-ce que pour arriver à se mobiliser afin de trouver la somme qui permettra de rentrer chez soi. Au milieu d’une pauvreté et d’une corruption générales, pouvoir se mettre une brochette de viande sous la dent, maintenir son échoppe en activité, sans pour autant se laisser réduire à cela.

Titre original : Ma' Rosa

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 110 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.