Depuis la mort de son compagnon, George Falconer parvient de plus en plus difficilement à cohabiter avec le monde vivant. Malgré les attaches terrestres (amis, travail…), il s’enfonce davantage dans la solitude jusqu’à songer au suicide.
Ce qui frappe le plus à la vision de A Single Man, c’est la beauté plastique du film. Il n’est évidemment pas surprenant qu’un film de styliste transpire l’élégance par tous les pores. Passé l’aspect défilé (les beaux vêtements, la belle maison, les beaux acteurs, les beaux chiens…), que reste-t-il de cette beauté ? Pas grand-chose finalement. Ce que l’on voit à travers ce film, outre l’intérêt manifeste du réalisateur pour le roman, ce sont aussi ses goûts personnels.
Tom Ford doit aimer Wong Kar-wai. En plus de lui emprunter un compositeur (Shigeru Umebayashi), il semble avoir été fortement marqué par l’utilisation chez le Chinois du ralenti et l’élégance générale du cadrage et de la lumière. Belle lumière en effet qui, dans la même séquence, peut varier des tons mordorés à gris. Comme si l’on passait d’une observation extérieure du monde en mouvement au point de vue du personnage dépressif pour qui la vie a perdu de ses couleurs. Non, parce que c’est vrai, la tristesse est toujours plus belle en camaïeu et au ralenti.
Tom Ford doit aimer le vidéaste Bill Viola. Les séquences aquatiques de son film rappellent The Messenger (1996), vidéo dans laquelle un corps plongé dans l’eau rejoint peu à peu la surface avant de regagner les profondeurs. Tom Ford doit aussi beaucoup aimer ses acteurs. Il leur offre de beaux rôles. A Colin Firth, la possibilité de tourner enfin autre chose que l’éternel homme à marier coincé qu’il a réussi jusqu’à présent à séparer en deux catégories : les Darcy (d’Orgueil et Préjugés) ou les petits fiancés de l’Angleterre. Forcément, on a l’impression de découvrir un acteur.
Mais plutôt de que s’extasier sur lui (Firth a reçu la Coupe Volpi du meilleur acteur lors du festival de Venise, mérité ?), revenons plutôt sur les seconds rôles du film. Oui car finalement ce Single Man n’est pas vraiment tout seul. Peu de choses à dire sur Julianne Moore. Elle est parfaite comme d’habitude. Ici dans la démesure totale d’une femme dont l’aspect tonitruant vient dissimuler la solitude infernale. Elle parle fort, elle rit fort, elle joue fort. Son personnage en deviendrait presque masculin et porte en lui une véritable brutalité. Dans le rôle de l’amant décédé face au monolithique Firth, Matthew Goode (Match Point, Watchmen) est parfait. A l’image figée de l’amant de papier glacé, il amène une présence décalée et paradoxalement un peu de vie dans ce film où les autres personnages sont déjà refroidis par la mort. Il y a chez cet acteur un contraste entre la raideur corporelle et l’esprit joueur et pince-sans-rire. Un acteur que l’on a envie de voir dans de plus grands rôles donc.
Tom Ford doit également aimer Gus Van Sant. Certains aspects évoquent immanquablement le réalisateur américain. La séquence du parking avec le prostitué espagnol baignée d’une lumière surréelle et sous le patronage de Psychose évoque les premiers Van Sant, de même que la relation que Colin Firth entretient avec l’un de ses élèves.
Wong Kar-wai, Gus Van Sant… Les références de Tom Ford sont donc celles d’un cinéma qui apporte une attention particulière aux qualités plastiques des images. Mais les recherches formelles des réalisateurs cités viennent aussi décupler la puissance d’un scénario. On sent bien quelle est l’ambition de Tom Ford par son film. Il veut nous émouvoir, mais avec de belles formes. C’est le principal échec du film. Parce que les figures de style sont apposées sur un scénario, et non pensées conjointement avec lui. Ces effets semblent parfaitement artificiels et ne sont pas chargés de sens. Forme et scénario ne se rencontrent jamais vraiment et la machine tourne à vide.
Joli objet, tocade plaisante pour l’œil, A Single Man ne parvient pas pour autant à convaincre. Fait sans doute avec amour de son histoire et du cinéma, le film cherche trop à tirer les larmes. Paradoxalement, ce qu’il manque le plus, c’est la sincérité. A l’avenir, Tom Ford devra enlever les ornements maniéristes s’il souhaite montrer la douleur et les faire entrer en résonance avec son histoire. Le simple enrobage esthétique ne suffit malheureusement pas au cinéma.