Portrait de la ‘Ndrangheta
Pour son troisième long-métrage, Jonas Carpignano renoue avec bonheur avec ses deux films précédents. En effet, après son premier long-métrage Mediterranea, sélectionné au Festival de Cannes en 2015 à la Semaine de la Critique et qui a connu un grand succès en raison justement de la manière dont il a traité le problème des migrants dans le Sud de l’Italie, son deuxième long-métrage, A Ciambra, description des conditions de vie de la communauté Rom en Calabre, fait sa première internationale à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2017. A Chiara, son troisième film est de retour à la Quinzaine et vient clore la trilogie autour de la ville calabraise de Gioia Tauro en Italie où sont tournés ces trois films. A travers la mise en scène de la mafia locale, la tristement célèbre ‘Ndrangheta, dans un style documentaire, A Chiara est surtout le portrait d’une jeune fille farouche et courageuse qui va réussir à échapper à la mainmise de la famille et de la mafia sur sa propre vie.
Swamy Rotolo, la Chiara du film
Pour ce faire, Jonas Carpignano a suivi pendant près de dix ans la jeune fille qui sera l’interprète principale et magistrale de ce film, Swamy Rotolo la Chiara du film, dans une belle lumière et photographie de Tim Curtin. Certains personnages sont d’ailleurs récurrents d’un film à l’autre, notamment Patatina, la jeune Rom interprétée par Patrizia Amato. Contrairement au traitement des autres films italiens sur la mafia, comme Gomorra (2008) de Matteo Garrone entre autres, la méthode de Jonas Carpignano est moins spectaculaire mais beaucoup plus incisive. Il tend à présenter la mafia comme faisant partie intégrale de la société, gangrénant même et d’abord la structure familiale. C’est donc pourquoi les autorités tentent d’arracher les enfants à leur famille pour éviter qu’ils ne soient corrompus et c’est ce qu’il arrive à Chiara. La fin du film – alors qu’elle a refusé de toutes les manières possibles la famille d’accueil qu’on lui a imposée – devient alors presque peu crédible, mais il fallait bien que le réalisateur donne un peu d’optimisme à une situation trop noire et déprimante, celle de cette famille mafieuse régie par le silence et le déni.
Trouver sa boussole morale
Et si Chiara s’en sort, ce n’est pas grâce à la société, ce n’est pas non plus pour s’assimiler à la gentry italienne, c’est simplement parce qu’elle a enfin compris qu’elle n’était qu’un objet dans la manipulation que son père et sa mère lui infligent. Elle s’en aperçoit lorsqu’elle revient dans sa famille en s’échappant du train qui la conduit avec son assistante sociale vers sa famille d’accueil. Elle rencontre alors son père qui lui explique ses malversations autour de la drogue et sa mère endormie dans le même lit avec sa soeur aînée. Elle se dit alors qu’elle n’a plus sa place ici et elle acceptera enfin son destin, celui de faire des études et de se conformer à un certain ordre social. Ce que le réalisateur définit parfaitement par ces mots relevés dans l’entretien qu’il a accordé dans le dossier de presse du film : « C’est un film sur la famille, sur les relations père-fille, qui raconte aussi comment les gens apprennent à trouver leur propre boussole morale, entre le bien et le mal, et à se frayer un chemin pour conquérir leur liberté. S’il fallait trouver un fil rouge à mes trois films, ce serait celui-là. »