Un thriller politique paranoïaque dans une Amérique en proie au doute dans les années 1970
À cause d’un assassinat (titre original The Parallax View), réalisé par Alan J. Pakula et sorti en 1974, est un « thriller » politique paranoïaque, typique d’une certaine Amérique des années 1970. La même année 1974 en effet sortait Conversation secrète de Francis Ford Coppola et Chinatown de Roman Polanski, tandis que l’affaire du Watergate trouvait sa conclusion en août par la démission du président Richard Nixon ; en 1975 Sydney Pollack signait Les trois Jours du Condor ; en 1976 Alan J. Pakula obtint son plus grand succès commercial avec Les Hommes du président, sur le scandale du Watergate. Après la désastreuse guerre du Vietnam (1964/1975), les émeutes urbaines liées au racisme, les multiples assassinats politiques (en 1963 celui de John Fitzgerald Kennedy puis en 1968 celui de son frère Robert, ainsi que celui de Martin Luther King), les soubresauts liés aux chocs pétroliers (1973 et 1979), un sentiment de défiance s’était répandu à Hollywood et dans certains milieux vis-à-vis du système et des élites politico-judiciaires, virant à l’obsession de la manipulation et du complot contre la démocratie américaine.
C’est la base d’ À cause d’un assassinat. Un 4 juillet, au milieu d’une campagne électorale qui paraissait triomphale, un sénateur est assassiné par un serveur lors d’une conférence de presse-buffet (Pakula suggère nettement qu’il s’agit d’un complot ayant mis en jeu de nombreuses personnes). Mais une commission d’enquête (montrée à distance dans la pénombre, sur une estrade comme une assemblée de fantômes dominée par un aigle) conclut pourtant à l’acte d’un isolé et d’un déséquilibré (qui, poursuivi, serait opportunément ensuite tombé d’un toit). Problème: la plupart des personnes ayant assisté à cet évènement meurent dans des circonstances étranges (l’un d’entre eux, par exemple, lors de l’ouverture inopinée des vannes d’un barrage sur une rivière où il était venu pêcher !). Un journaliste, Joe Frady (Warren Beatty), prévenu par l’une de ses amies (qui était présente lors de l’assassinat, et qui elle aussi à son tour va mourir), décide de mener l’enquête, malgré les réticences de son rédacteur en chef (Hume Cronyn), qui craint la manipulation politique.
Frady est ainsi mis sur la piste d’une mystérieuse société « privée » (?) appelée Parallax (le nom vient d’un roman de Loren Singer, 1923/2009, paru en 1970, The Parallax View, qui racontait la même histoire). Frady découvre que cette Corporation (?) sélectionne par questionnaire des individus hyper violents pour en faire des tueurs, qu’elle élimine ensuite : on n’en saura pas plus. Mais Frady, ayant décidé de candidater sous une fausse identité (on lui fait voir alors un montage photographique destiné à déceler sa dangerosité potentielle), se fait piéger et assiste, à son corps défendant, au meurtre d’une autre personnalité politique : coincé il devient le suspect idéal qui ne pourra évidemment se défendre puisqu’il est tout de suite abattu (par qui ?). Une nouvelle commission d’enquête du genre « Big Brother »(la même que la première) dénonce encore une fois l’acte d’un loup solitaire.
Cette solitude sans espoir du « héros » (Frady), condamné à échouer face à un adversaire tentaculaire et mystérieux, est intelligemment mise en scène par Alan J. Pakula, qui prend soin de le montrer souvent comme une minuscule silhouette dans de vastes et écrasants décors (grandes façades d’immeubles lisses et parfaitement géométriques, salle de congrès désespérément vide, immenses escalators, etc.). Il n’est « rien », et finira écrasé par le système (lequel ? cela ce film paranoïaque ne le dit pas)…comme d’ailleurs son rédacteur en chef, tué à son bureau.
À cause d’un assassinat (qui vient de ressortir en version restaurée)est certes un « petit » film, inégal avec des péripéties qui ne s’imposaient pas (comme la tentative d’attentat dans un avion de ligne) et schématique, mais il doit être regardé comme un intéressant témoin de son époque (l’Amérique pré-reaganienne des années 70, alors pleine de doutes). De plus, il prend aujourd’hui un relief particulier quand « règne » aux USA l’inquiétant démagogue que l’on sait, et que fleurissent les fake news et sur les réseaux sociaux les tentatives de toutes sortes de manipulations de l’opinion.





