143 rue du Désert

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Pour ce road-movie immobile, la caméra s’installe chez une magicienne du désert.

Une petite buvette dans l’immensité du désert

Lors d’un voyage avec son ami l’écrivain Chawki Amari, dans le désert algérien, Hassen Ferhani, le réalisateur de ce film, voit s’incarner sous ses yeux l’un des personnages du livre de son ami, Nationale Une. Il n’en croit pas ses yeux, Malika sort du roman et s’incarne devant lui. Il le confie dans le dossier de presse du film : « Dès que je suis entré chez elle, j’ai su que mon film était là, que c’était elle, cette dame de 74 ans qui avait décidé d’ouvrir une buvette au milieu du désert. L’idée m’est venue qu’on pouvait faire, ici, un road-movie inversé. » En effet, ce film qui deviendra 143 rue du Désert qui est l’adresse même de la buvette de Malika au milieu de nulle part est un road-movie immobile. Ce n’est pas Malika qui se déplace, mais les gens qui viennent la voir, s’arrêtent chez elle comme on fait escale chez la magicienne Circé dans L’Odyssée, sauf que Malika, même si elle est malicieuse, ne transforme personne en pourceau. Elle n’a cependant pas la langue dans sa poche et sait jauger d’un coup d’oeil l’imam intégriste qui fait escale et veut lui faire la morale, ou la motarde polonaise qui se comporte presque comme un homme.

 

Entre Johnny Guitar et Bagdad Café

Elle a quelque chose d’une ogresse débonnaire, ou d’une magicienne emmitouflée qui vit près de son chat et de son chien du désert. Seule, mais accompagnée, résignée mais pas désespérée, en lutte contre les injustices de la vie mais presque fataliste devant l’installation d’une station-service flambant neuve à deux pas de chez elle. Nous n’irons pas aussi loin qu’Aurélia Barbet, cinéaste membre de l’Acid, lorsqu’elle écrit : « Cela pourrait être aussi un western algérien, avec Malika en cousine lointaine de Joan Crawford dans Johnny Guitar. Car il faut en avoir du courage et du caractère pour tenir ce saloon. » Mais on peut quand même trouver un air de ressemblance entre ce film et ceux notamment de Wim Wenders au niveau de l’esthétique dans le traitement de l’image et du désert. On voudrait presque entendre parfois la musique lancinante de Ry Cooder alors que c’est un peu la darbouka mélancolique et trépidante qui y fait escale. On pense aussi bien sûr, sans trop savoir pourquoi, à Bagdad Café de Percy Adlon (1987) pour le traitement du personnage principal.

Pourtant, ici, nous sommes ici au coeur même d’un documentaire mais qui prend presque, par la poésie qu’il instille et le traitement de la narration, la forme et la force d’une fiction.

 

 

Au-delà du documentaire et de la fiction

Le film passe lentement du style western et road-movie vers la confidence et le mysticisme justement parce qu’il est porté par la personne de Malika qui devient un entonnoir où toute forme de fiction est possible. Hassen Ferhani, dont c’est le deuxième long-métrage après Dans ma tête un rond-point en 2015 qui avait eu beaucoup de succès et était déjà axé sur la route et la circulation, explique sa manière de travailler. Il lui faut peu de temps pour installer son histoire car les repérages se poursuivent aussi pendant le tournage. Le lieu, ici, c’est les 20m2 de la buvette de Malika et le Sahara immense tout autour. C’est cette différence qui fait tout le sel de ce magnifique film. De plus, comme il travaille avec une équipe très réduite et qu’il fait lui-même ses images en tenant la caméra, cela donne au film une qualité de grande intimité et de proxémie. En effet, il n’est pas rare que Malika ait un regard caméra et, parfois, on entend même la voix du réalisateur qui intervient in vivo. Nous sommes en train de voir naître ici un genre nouveau entre documentaire et fiction, entre rêve et réalité, à la mesure de cette magicienne qui dort sur le sable et parle aux éléments. « Je n’aime pas trop l’appellation de film documentaire, se confie le réalisateur. Je suis content quand mes films sont sélectionnés dans des festivals qui n’affirment pas de genre. Ce cloisonnement tend à disparaître et c’est une bonne chose. (…) Je travaille sur du vivant, qui véhicule autant sinon plus de fiction. »

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Durée : 100 mn


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