Zombi Child

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Bertrand Bonello use d’un imaginaire éprouvé pour détourner nos attentes.

La jeunesse à la fois oppressée et rebelle parcourt les derniers films de Bertrand Bonello et plus précisément L’Apollonide (2011) et Nocturama (2016). L’environnement est machiste pour les prostituées de L’Appollonide et le malaise plus incertain de Nocturama fait écho à une jeunesse désaxée se tournant vers le terrorisme (même si le réalisateur se défendit de tout message politique). Zombi Child creuse le même sillon mais en se tournant vers le fantastique. Deux temporalités et imaginaires s’entrecroisent au sein du film. D’un côté nous avons un récit de possession vaudou dans le Haïti des années 60 – et inspiré de l’histoire vraie de Clairvius Narcisse -, et de l’autre une trame contemporaine où une descente haïtienne intègre le pensionnat de la Légion d’honneur à Paris.

 

 

Bonello par un montage habile crée un parallèle entre la soumission du malheureux envoûté forcé de travailler dans des plantations de cannes à sucre, et tout le rituel codifié du pensionnat, des uniformes aux emplois du temps en passant par le « salut » collectif que les élèves adressent à la doyenne en visite. On est fasciné tout en s’interrogeant sur le croisement d’une imagerie évoquant un Picnic à Hanging Rock (Peter Weir, 1975) 2.0 et le Vaudou de Jacques Tourneur (1943). L’aspect flottant, lumineux et hypnotique de l’un s’oppose au dépaysement exotique et oppressant de l’autre. Le personnage de Mélissa (Wislanda Louimat) la jeune haïtienne constitue le lien entre les époques, à la fois guide pour nous faire découvrir le monde contemporain du pensionnat et élément perturbateur en y introduisant les rites vaudou passés. Bonello capture cette jeunesse mélancolique et enjouée, la fascination jouant sur un trouble suspendu qu’il sait rendre à la fois ludique et mystérieux – notamment grâce au charme et à la fraîcheur du casting.

 

 

L’aliénation du passé est avant tout sociale avec cet homme subissant un sortilège vaudou mais qui à force de volonté va rechercher et retrouver la lumière des vivants. A l’inverse et répondant à la jeunesse sans repères de Nocturama, l’aliénation est avant tout mentale dans notre monde moderne où il faut se frotter à l’oubli (vaudou ici, terroriste et nihiliste dans Nocturama) avec le personnage de Fanny (Louise Labeque) ado française prête à tout pour surmonter un chagrin amoureux. Si le cinéaste convoque tous les clichés et le grotesque du folklore vaudou (la saisissante apparition finale du Baron Samedi), c’est pour les détourner dans un contexte inattendu. L’ailleurs indicible que représente le vaudou s’estompe ainsi, faisant du rituel le simple outil de cette aliénation qui ne se résume plus à une contrée. C’est grâce à la brillante inversion qu’effectue Bonello en désamorçant progressivement les élans de films d’épouvante qu’on pensait deviner dans le contexte de l’école. La facette ténébreuse investi et dérègle le présent par cette seule notion d’autodestruction individualiste représentée par Fanny. Lorsque les entraves sociales que représente le vaudou dans les scènes haïtiennes s’estompent, le lien au présent se fait alors fraternel avec une belle scène de confession finale pour Mélissa. Le tumulte intime n’a pas de frontière, et le vaudou représente à la fois nos peurs et un fascinant métissage. Bertrand Bonello réussit un beau numéro d’équilibriste, souvent envoûtant et jamais ridicule dans l’audace.

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Durée : 103 mn mn


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