Wu Xia Pian : les cinq royaumes du film de sabre chinois des années 2000.

Article écrit par

La sortie française des Trois Royaumes, grande fresque épique de John Woo, est l´occasion de se pencher sur la renaissance du genre le plus populaire de Chine : le Wu Xia Pian, ou film de sabre, tombé en désuétude après la rétrocession de HongKong à la Chine en 1997, mais revenant avec force au tournant des années 2000.

1997 : Avec la rétrocession de HongKong à la Chine, on se dit que s’en est fini de son cinéma, pourtant l’un des plus riche et fécond du monde, arrivant à concilier goût populaire et véritables ambitions artistiques. Le Wu Xia Pian en est la preuve éclatante : mélange de film d’aventure, de sabre, de chevalerie et de Kung-fu, le genre a connu son âge d’or dans les années 70 avec les production flamboyantes de la Shaw Brothers. Chang Cheh ou King Hu revisitaient alors avec tout le panache du cinéma de HongKong l’Histoire, les légendes et les mythes de leur pays. Dans les années 90, le genre permet tout : les visions barbares de Tsui Hark (The Blade), le regard poétique et mélancolique de Wong Kar-wai (Les Cendres du temps), comme les acrobaties millimétrées de Jet Li (Il était une fois en Chine, Taï Chi Master), tout en s’inscrivant dans une tradition épique et populaire spécifiquement chinoise. Comme le souligne le pourtant très contemplatif Tsai Ming Liang : « Tous les réalisateurs d’origine chinoise rêvent de faire un Wu Xia Pian. C’est quelque chose qui est tellement ancré dans notre culture, du roman au cinéma en passant par la poésie, lié à notre environnement, qu’évidemment il m’arrive de penser à aborder le genre ». Mais lorsque ses principaux acteurs (Tsui Hark, John Woo, Yuen Woo Ping, Jet Li, Chow Yun-Fat, etc.) quittent leur pays pour s’installer à Hollywood, les épées sont rentrés dans leurs fourreaux, les câbles soigneusement rangés et les costumes d’époques prêts à prendre la poussière.

2008 : Sort sur les écrans de toute la Chine les Trois Royaumes, Wu Xia Pian aux dimensions démesurées : une durée totale de plus de quatre heures (on n’a le droit en France qu’à une version courte de deux heures vingt, sorte de Bande Annonce géante se focalisant sur les scènes d’action), un budget de plus de 80 millions de dollars, des milliers de figurants prêtés par l’armée chinoise, un réalisateur mythique de retour d’Hollywood… Il aura fallut un peu plus de dix ans pour que le film de sabre redevienne le genre majeur du cinéma populaire chinois. Retour sur cette renaissance en cinq étapes.

Tigre et Dragon de Ang Lee (2000).

Si l’aventure Hollywoodienne fut un échec pour la plupart des exilés de HongKong (Tsui Hark, excédé par les studios qui ne veulent lui confier qu’un acteur belge aux dons martiaux comme dramatiques plus que discutables, claque rapidement la porte et rentre en Chine, alors que les acteurs comme Chow Yun-Fat et Jet Li sont condamnés à s’auto parodier dans des séries B bas de gamme), les producteurs américains savent s’y prendre pour vampiriser et s’approprier une culture étrangère. On voit alors fleurir dans tous types de production des combats aériens chorégraphiés par les maîtres du genre, à l’image de ceux de Matrix, composés par Yuen Woo Ping. Il n’en faut pas plus pour que la Colombia donne le feu vert à une co-production américano-chinoise en costume et en Mandarin, dans la plus pure tradition du Wu Xian Pian. Aux commandes de ce Blockbuster, le choix d’Ang Lee peut surprendre. Le cinéaste est en effet plus habitué à filmer le frémissement des sentiments que des scènes d’actions, mais a déjà prouvé qu’il était capable d’associer les deux dans le western Chevauché avec le Diable. Et force est de constater que le cinéaste rempli le cahier des charges : les scènes d’acrobaties martiales câblées sont nombreuses, on retrouve avec plaisir des acteurs qui ont marqué le genre dont Chen Pei Pei, l’ancienne Hirondelle d’or, dans le rôle de la perfide Jade La Hyenne, et la structure scénaristique, avec son flash back coupant de manière improbable le film au milieu, rend hommage aux audaces du cinéma HongKongais. Tigre et Dragon rappelle aussi que le genre fut avant tout féminin, et laisse la part belle aux personnages de femmes fortes et indépendantes. Malheureusement, ces qualités camouflent mal l’immobilisme de la mise en scène, comme le manque de conviction d’Ang Lee face à son sujet : minimisant l’ancrage dans les légendes et l’Histoire chinoise, Lee adopte un traitement mélodramatique, et interroge le rapport entre le respect des tradition et les désirs profonds des êtres. Mais cette problématique, qui parcourt toute l’oeuvre du cinéaste, est ici contrebalancée par une imagerie poétique aussi molle que puéril. Cette dysnéysation du genre se traduit aussi par une volonté de créer de la beauté en faisant de chaque scène un tableau, figeant artificiellement personnages et décors dans des poses statiques. Aux combats secs, souvent violents et barbares du Wu Xia Pian, le cinéaste préfère une légèreté cotonneuse, dénué de toute fureur, et propre à plaire au public occidental. Le formatage pour un public américain associé à une énorme campagne publicitaire fait de ce film un triomphe, qui a le mérite d’ouvrir la voie à une nouvelle vague de Wu Xia Pian.


Hero de Zhang Yimou (2002).

Le succès d’Ang Lee, cinéaste d’origine Taïwanaise financé par une major américaine, a de quoi énerver en Chine Populaire. Zhang Yimou, réalisateur apprécié par le régime communiste et habitué aux fresques historiques réalistes, réunit alors 30 millions de dollars (soit le double du budget de Tigre et Dragon et le plus important pour un film asiatique à l’époque) et les acteurs chinois les plus populaires (Jet Li, Tony Leung, Maggie Cheung, Zhang Ziyi, Donnie Yen, etc.) pour tourner le Wu Xia Pian qu’il a en tête depuis 1998. Si Tigre et Dragon se référait superficiellement à la culture chinoise, Hero s’inscrit pleinement dans la tradition de son pays. Situé à l’époque des royaumes combattants, le film se présente comme une légende mettant en scène une tentative d’assassinat du roi Qin, à l’instar de L’Empereur et l’assassin, réalisé quelques années plus tôt par Chen Kaige sur un mode plus classique. Les arts martiaux y sont représentés comme un élément à part entière de la culture chinoise, comme la calligraphie ou la musique traditionnelle. Cette réappropriation historique se double d’un sous texte politique valorisant l’unité du pays, et mettant en avant la valeur du sacrifice personnel pour le bien de tous, véritable définition du héro, qui différencie le film des précédentes productions, notamment HongKongaises. On pourrait penser que le film reprend la douceur de ses combats, son esthétisation des batailles (la violence est absente du film, au point où à la place des têtes de ses ennemis vaincus, le personnage de Jet Li présente leurs épées à l’empereur) et son atmosphère onirique de Tigre et Dragon, mais l’éblouissante qualité du travail sur l’image et les couleurs rapproche plutôt le film des Cendres du Temps de Wong Kar-Wai. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de retrouver le génial Christopher Doyle au poste de directeur de la photo sur les deux œuvres. Cet ancrage culturel allié à la beauté des combats et à l’originalité de sa narration fait du film un immense succès en Chine (et plus étonnamment aux Etats-Unis, où le film est distribué par Miramax sous l’impulsion de Tarantino) et permet alors une escalade des budgets pour les films de sabre.

Seven Swords de Tsui Hark (2005).

Figure majeure du cinéma de HongKong, Tsui Hark prouve dès son retour en Chine qu’il n’a rien perdu de sa folie virtuose et de sa tourbillonnante inventivité avec le polar Time and Tide. C’est donc, après la parenthèse mineure que fut La Légende de Zu, avec impatience qu’on attendait le retour du cinéaste vers un genre qu’il a révolutionné à au moins deux reprises. Zu, les guerriers de la montagne magique entraînait en 1984 le Wu Xia Pian vers le fantastique et le merveilleux, et redéfinissait totalement les attentes et exigences du public, alors qu’en 1995, sa relecture de la légende du sabreur manchot, The Blade, fait preuve d’une barbarie et d’une audace expérimentale jusqu’alors inédite. C’est encore cette recherche de rupture et d’originalité qui est à la base de Seven Swords. Fatigué par le maniérisme et la poétisation extrême des films d’Ang Lee et de Zhang Yimou, Tsui Hark souhaite aller avec ce film vers plus de réalisme. Il choisit alors d’adapter une partie d’un roman fleuve de Liang Liu Sheng, dont le style, mélangeant figures historiques et personnages inventés, correspond parfaitement au projet. Mais le réalisme du film n’est pas recherché dans l’histoire à la tonalité légendaire affirmée, ni dans l’univers, celui d’une Chine fantasmé, où les méchants sortent tout droit de Mad Max, mais dans le rapport à la nature et au corps qu’il met en place. Le réalisateur engage ainsi Liu Chia-Liang, cascadeur et comédien mythique de la Show Brother, pour chorégraphier les combats et tenir un rôle dans le film. Son style, brut et traditionnel, d’avant le numérique et les câbles, apporte l’épaisseur physique recherchée. Même si le maître a attrapé un pneumonie à cause des conditions difficile d’un tournage en décors naturels, où la température était de tantôt 50 ° dans le désert tantôt -20° dans la montagne, et qu’il n’a donc pas pu terminer ses chorégraphies, les combats ont une réalité physique indéniable et s’inscrivent dans un monde réel loin des duels « par l’esprit » de Hero. Film organique où la chair, le sang et les éléments sont palpables, Seven Swords offre des moments magnifiques, dont le viol d’une jeune coréenne affamée, ou un impressionnant combat final entre deux murs, mais n’échappe pas toujours au chaos qu’il décrit. L’inutilité de certaines scènes est flagrante (on passe par exemple cinq minutes à abandonner un vieux cheval), alors que l’absence de véritable fin (l’univers est développé sous la forme d’une bande dessinée et d’une série) accentue l’impression de manque d’unité et d’incohérence du métrage.

Les Seigneurs de la guerre de Peter Chan (2007).

Après les succès de Zhang Yimou qui poursuit dans la voie martiale matinée de reconstitution historique aussi grandiose que grandiloquente avec Le Secret des poignards volants et La Cité Interdite, le temps est plus que jamais à la démesure en Chine. Réunissant un budget de 40 millions de dollars et un casting impressionnant (Andy Lau, Takeshi Kaneshiro et Jet Li, qui engloutit quand même à lui tout seul un tiers des dépenses), Peter Chan, plutôt généralement associé à la comédie romantique, choisit de revenir sur l’histoire de Ma, gouverneur Chinois assassiné en 1870 et ayant déjà inspiré nombres d’Opéra, romans et films, dont Frères de sang de Chang Cheh. Le résultat est aussi étrange que passionnant, car le film tranche radicalement avec la poétisation de l’Histoire chinoise en vogue depuis Tigre et dragon et accentue le réalisme des combats, actualisant les promesses du précédant Tsui Hark. Rien ne nous est épargné des atrocités de la guerre dans ce film historique fait de boue, de sang, de démembrements et de massacres d’innocents. Le point de vu adopté sur le personnage de Jet Li ne manque pas non plus d’une cruelle ambiguïté, loin du délicieux manichéisme parfois à l’œuvre dans le Wu Xia Pian d’antan. Homme d’honneur visant un but d’une grande noblesse, le général Pang est amené à faire des choix aussi raisonnables qu’injustifiables, et qui remettent en cause l’idée que le sacrifice des individus passe après le bien commun. Soit l’exact inverse de ce que défendait le film de Zhang Yimou. Et comme chez John Woo, c’est la trahison de ses amis qui condamne le personnage aux yeux du spectateur, autant que ses actes innommables. Le film marque ainsi clairement le retour d’un grand cinéma populaire plus proche de la tradition Hongkongaise que de la mentalité chinoise. Le « plus gros succès de tout les temps en Asie », si on en croit l’affiche, ouvre la voie à une grande liberté de ton comme de moyens dont John Woo va se saisir pour mettre en œuvre sa propre vision du Wu Xia Pian.


Les Trois Royaumes de John Woo (2008).

Maître des polars violents et ultra stylisés depuis le Syndicat du crime en 1989, John Woo n’en est pas moins un spécialiste du film de sabre et de Kung Fu. Il fut l’assistant de Chang Cheh au début des années 70 avant de signer des films comme La Dernière chevalerie et d’imprégner ses polars de l’esprit du Wu Xia. Lorsqu’il revient après quelques années d’errements à Hollywood (soit un bien impersonnel Paycheck et plusieurs projets avortés), il décide de s’attaquer à l’adaptation d’un classique de la littérature chinoise de Luo Guanzhong et se concentre sur la bataille de la falaise rouge, qui a eut lieu au IIème siècle avant JC. Les Trois Royaumes accentue le caractère mythologique de ses personnages tout en conservant une volonté réaliste dans les costumes, les décors et les faits, se plaçant ainsi à mi chemin entre la légende et la réalité historique. Loin de la cruauté dépressive des Seigneurs de la guerre, le film renoue avec une certaine naïveté du cinéma d’avant la rétrocession, tant stylistiquement, comme le montre par exemple l’usage de zooms pour accentuer la force de certains discours, que thématiquement (les personnages sont tous fondamentalement bons et glorieux, sauf le méchant Cao Cao, corrompu par le pouvoir et la jalousie). Le réalisateur s’amuse avec ses propres figures, fait d’une colombe qu’il suit longuement le messager des héros, imagine une scène de combat où un guerrier doit porter un bébé comme le faisait Chow Yun-Fat dans A toute épreuve, et tisse des liens d’amitiés plus fort que la mort. Il empreigne aussi son récit de philosophie chinoise, quand c’est la compréhension et la communion avec la nature qui permet la victoire finale. Mais à cause de cette trop grande innocence, on ne ressent pas toujours la force émotionnelle qu’il y avait dans les films noirs du cinéaste. Les personnages chevaleresques étaient en effet plongés dans un monde décadent, et leur grandeur venait de l’anachronisme que représentaient leurs valeurs face à la corruption de l’univers qui les entouraient. Ce décalage magnifique n’existe pas ici, et empêche le spectacle d’émouvoir pleinement. Reste alors à contempler les magnifiques scènes de batailles, qui assument leur volonté spectaculaire. Les combats sont à la fois beaux et violents, lyriques et sanglants, et atteignent une virtuosité et une fluidité impressionnantes.

Alliant habilité technique, financements gargantuesques, richesse thématique et liberté de ton, le Wu Xia Pian des années 2000 n’a pourtant pas encore accouché du chef d’œuvre qui le hissera aux sommets qu’il a connut les décennies précédentes. Mais ce retour en force des plus brillants cinéastes chinois aux commandes d’un genre en constant renouvellement annonce le meilleur pour l’avenir.
 


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi