Victoria

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Après « La Bataille de Solférino », le retour de Justine Triet. A nouveau film, nouvelle formule : moins d’énergie, plus de maîtrise.

Victoria s’ouvre sur une situation à l’arrière-goût désagréable : une mère débordée par son travail, un baby-sitter au look de jeune premier, un salon comme lieu privilégié de l’emportement hystérique des caractères – autant de figures que Justine Triet recycle de son précédent film, La Bataille de Solférino (2013), en une sorte de décalque mainstream et totalement dévitalisé, les plans soigneusement stabilisés succédant aux mouvements anarchiques du filmage à l’épaule. Si ce nouvel opus témoigne par la suite d’une maîtrise supérieure à son prédécesseur, la dynamique de chaos inhérente au cinéma de Triet ne semble plus ici dépasser la simple donnée de scénario.

Trentenaire élégante et énergique, brillante avocate de son état, la belle Victoria semble concentrer en elle tous les attributs d’une condition contemporaine où la vie file à cent à l’heure, dans la fièvre et la dispersion, sans que jamais ne soit pris le temps d’une halte, d’un regard compréhensif ou d’une pensée secrète. Coincée entre une affaire professionnelle délicate (Victoria ayant accepté de défendre un ami au tribunal) et un désordre relationnel qui ne l’est pas moins (son ex-mari qui, à travers l’écriture d’un roman, dresse un portrait d’elle peu flatteur), le quotidien de cette jeune mère célibataire n’est pas de tout repos. Seule l’arrivée inopinée et providentielle du sympathique Sam, qui s’improvise jeune homme au pair, ramène un peu de stabilité dans sa situation. En multipliant les lignes narratives, Justine Triet organise une matière disparate et cacophonique, dont l’enjeu majeur consiste en un télescopage des sphères de l’intime et du professionnel, qui ne cesse de s’amplifier avec la progression du récit. La part la plus saillante du film s’enroule autour de ces assauts multiples à l’encontre d’une héroïne malmenée, contrainte de démêler le vrai du faux pour mieux protéger sa propre intégrité. Or, cette problématique du personnage dans le monde agit avant tout comme pure stratégie de dévoiement : Victoria est l’histoire d’une femme qui, à trop faire et s’agiter, à trop se livrer complaisamment et s’oublier à son propre spectacle, ne sait plus observer, regarder les autres, ou simplement ressentir les choses. La rencontre amoureuse qui sert d’horizon au récit se développe ainsi en sourdine, tout à la fois masquée et sans cesse retardée. L’aboutissement de cette promesse initiale habilement reléguée à la périphérie scelle le mouvement intérieur de deux personnages qui enfin s’affirment dans la vérité de leur être. En cela, les multiples ramifications du film, de la trame amoureuse en passant par les intrigues de tribunal, du professionnel à l’intime, se rejoignent dans cette même quête tendue vers une vérité libératrice.

 

Fidèle à ses motifs, Justine Triet fait percer, sous l’oripeau hystérique des caractères, une certaine subtilité dans la peinture des relations, où chacun se révèle avec ses manquements, ses bizarreries, et ses souffrances cachées. Avec ce second film, elle puise dans le personnage de Sam un souffle salutaire : en sa qualité d’observateur et d’adjuvant discret, mais aussi de dissimulateur, il tempère la transparence des personnages emblématiques de la cinéaste, ces personnalités entières qui, ne retenant jamais rien dans l’expression d’elles-mêmes, s’assimilent souvent à de pures extériorités. Qu’importe alors si la dernière ligne droite lui fait perdre tout mystère, l’intention de départ contenant les germes d’un intrigant renouveau – d’une maturité ? – chez l’auteur de La Bataille de Solférino. Pourtant, en deux longs métrages, la démarche de Justine Triet parait déjà s’enrouler autour d’une zone aveugle, d’un angle mort probablement inconscient, mais chargé de sens : la place accordée aux enfants. Dans Victoria, ils ne sont jamais autre chose qu’un élément de décor pittoresque, une donnée utilitaire mais finalement accessoire, vecteur d’agitation joyeuse ou irritante, mais surtout présence sans visage, dépourvue de cette part d’humanité inhérente à leurs homologues adultes. À ce titre, les seuls moments de partage entre l’héroïne et sa progéniture sont concentrés en un moment révélateur, où le recours à une grammaire impersonnelle vient pallier l’absence d’imaginaire et de regard : derrière ce défilement de petites vignettes recouvertes de musique, esquissant autant de situations archétypales compilées tel un best-of, c’est toute une imagerie plate et conventionnelle du bonheur qui se profile. Pour un portrait de femme qui, de surcroît, s’ouvre sur un reproche signifiant adressé à l’héroïne (un baby-sitter remettant en question son statut de bonne mère), Victoria se révèle étrangement négligé sur la question.

Titre original : Victoria

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Durée : 106 mn


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