Tokyo!

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Tokyo!, ou comment réunir trois réalisateurs à la mode pour obtenir un triptyque bancal. Michel Gondry endort un peu son public, tandis que Leos Carax le réveille beaucoup trop brutalement. Seul le dernier film, signé Bong Joon-Ho, vaut vraiment le déplacement.

Deux producteurs de cinéma, Michiko Yoshitake et Masa Sawada, se sont entretenus, un beau jour, au soixante-douzième étage d’un building de Tokyo, ou dans l’arrière salle de l’un des nombreux clubs très privés de la capitale, et ont eu l’idée suivante… « Tiens, si l’on réunissait trois réalisateurs à la mode qui n’ont rien en commun – si ce n’est le fait d’être à la mode – et que l’on demandait à chacun de tourner un petit film, un moyen métrage disons, sur Tokyo?! » ; « Pas bête, dit l’autre, on n’aura qu’à leur dire que notre projet consiste à parler du monde contemporain, de façon décalée, en filmant notre belle cité qui est déjà un décor de cinéma en soi : ça pourrait faire une bonne publicité pour le Japon, pour les réalisateurs, et pour nous aussi… » ; « Magnifique! Tout le monde serait gagnant ; tu reprendras bien un peu de Scotch? » ; « Non merci, j’en ai déjà trop bu »…

Ainsi naquit, très vraisemblablement, Tokyo!, triptyque de films à sketches s’affichant comme une combinaison de regards sur la condition de l’homme moderne, du citadin, voire de l’homme occidental ; le tokyoiite n’étant que l’un des exemples les plus édifiants – bien peu exotique en fin de compte – de ce type d’humanité. Le problème commence lorsque les réalisateurs eux-même ne semblent pas prendre la commande au sérieux. De fait, dans cet ouvrage en trois parties, les deux premières seraient presque de trop… Dans Interior Design, l’enchaînement des désillusions d’un jeune couple Bohême cherchant à emménager dans la grande ville, Michel Gondry économise un peu son talent : la principale trouvaille tient en une métaphore surréaliste qui s’épuise d’elle-même après avoir surpris quelques secondes. Dans une mégapole débordant du sérieux des choses de la « vie active » et d’ambitions mesquines, l’héroïne se transforme en chaise afin de donner à son existence un minimum d’utilité… Mais tout se finit malencontreusement sans que cette jolie figure de style ne soit réellement exploitée. On peut se demander pourquoi les qualités d’élégance, de drôlerie et d’inventivité qui faisaient de Gondry (l’auteur de La Science des Rêves, par ailleurs coutumier de réalisations de clips et de publicités) un observateur non négligeable du monde contemporain, se retrouvent ici à un si faible niveau d’intensité. Dans « Merde » (le réalisateur paraît assez sûr de lui pour se permettre un titre aussi laid), second moment du triptyque, le point de vue des personnages est inversé. C’est le monde entier qui est inutile, la société elle-même, débilement, tragiquement docile. Gloire à l’individu contre la démocratie-bourgeoise, la religion, les informations télévisées, les bureaucrates, les juges, la police, les hommes d’affaires, les handicapés, les mamans et leurs bébés… Leos Carax en fait un peu trop, avec une certaine tendance à imposer des lectures de Marx et de Nietzche, en mésinterprétant l’un, et en sur-interprétant l’autre ; le premier n’a jamais dit que toutes notions de justice, d’ordre ou d’état étaient a priori obsolètes, bonnes à jeter aux orties ; le second n’a probablement jamais écrit que « la volonté de puissance », ou la vrai liberté, revenaient à balancer des grenades au hasard sur le grand passage-piéton du quartier de Shibuya… Ni la présence de Jean-François Balmer, ni la prestation véritablement brillante de Denis Lavant (dans le rôle de l’asocial radical, du terroriste romantico-brutal qui mange des fleurs et vit dans les égoûts) ne suffisent à sauver une entreprise non dénuée de poésie, mais intellectuellement par trop paresseuse.

Les deux premiers volets ont comme défaut commun de nous dire ce que l’on savait déjà : derrière les masques et les conventions hypocrites, au-delà du superficiel de la vie citadine, ou plus généralement contemporaine, il y a de l’humain qui vibre, de l’individualité qui meure de ne pas s’épanouir, de la créativité qui s’impatiente ; de la fragilité, de la violence, de l’imprévisible… Certes, tout cela n’est pas faux. Mais peut-être eût-il fallu, après avoir dénoncé la superficialité du monde contemporain, filmer ce qu’il y avait derrière celle-ci… Seul Shaking Tokyo de Bong Joon-Ho (Memories of Murder, The Host), parvient à réaliser cet exploit, cette ambition authentiquement cinématographique visant à critiquer rationnellement l’époque, tout en filmant, jusque dans leurs névroses les plus intimes, ceux qui y vivent. Seul ce dernier volet nous apprend ce que l’on ne savait pas : comment se débrouillent deux « hikikomori », deux ermites dans la ville – pantouflards maniaco-dépressifs barricadés derrière leurs quatre murs, et qui ont peur de la lumière du jour – pour tomber amoureux ? C’est l’histoire d’un petit insecte terriblement égocentrique qui finit par comprendre qu’il lui faut sortir de son trou pour ne pas mourir ; et de sa rencontre avec une jeune livreuse de pizza, gracieuse, fragile, tendrement désinvolte : la solitude de l’un annulera la solitude de l’autre. Il faut aller voir Tokyo! pour ce dernier film.

Sortie le 15 octobre 2008

Titre original : Tokyo!

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