1978 : The Driver, de Walter Hill, sort sur les écrans. Le film amorce un nouveau type de cinéma, entre film policier et « western urbain », dont Michael Mann sera également un des meilleurs représentants, avec Heat ou Collateral, ce dernier présentant de grandes similitudes avec The Driver, au même titre que le tout récent Drive de Nicolas Winding Refn.
Walter Hill nous propose de suivre son héros, qui n’a pas d’autre nom que celui de « driver », incarné par Ryan O’Neal. Ce rôle devait, à l’origine, être dévolu à Steve McQueen, ce qui aurait été moins surprenant. Ce driver virtuose permet, grâce à ses talents de chauffeur, la fuite habile de gangsters.
Des personnages sans noms propres, une histoire linéaire, une intrigue et des dialogues minimalistes sont les principes d’une mise en scène épurée dont profite le film de Walter Hill, qui ne s’attarde pas en à-côtés futiles, alors que Refn déploie la carte du driver amoureux sacrifié qu’il aurait sans doute du éviter. C’est aussi au niveau des choix musicaux que se fait la différence. Là où Refn ne craint pas la surcharge musicale, Walter Hill opte encore une fois pour le minimalisme avec une bande originale confiée à Michael Small.
A gentleman will walk but never run…
La singularité du héros tient à son côté à la fois impassible et mutique, charismatique et solitaire. Il y a du melvillien chez ce personnage qui fait plus ou moins directement penser au samouraï froidement incarné par Alain Delon. Ce sont des héros raisonnables et résolus, jeunes mais emplis de sagesse, et qui arpentent la ville à toute vitesse sans jamais rien perdre de leur élégance. Le driver, d’une droiture inébranlable, ne laisse transparaître aucune émotion et s’exécute machinalement, pourvu qu’on lui donne beaucoup d’argent et qu’on respecte ses principes. Là où Steve McQueen aurait poursuivi l’incarnation de rôles qu’il avait pris l’habitude de jouer dans les films comme dans la vie, Ryan O’Neal, lui, surprend là où on ne l’attendait pas forcément. Il y a chez lui, que l’on retrouve chez Gosling dans le Drive de Refn, une certaine pureté sur ce visage candide, presque enfantin, qui cache pourtant une dureté et une force de caractère incroyables. Psychologie et émotions sont entièrement intériorisées dans ce personnage qui semble constamment se contenir. On attend qu’il explose, à tout moment. Mais contrairement au driver incarné par Gosling, celui de Walter Hill garde le contrôle de bout en bout. Il n’épuise jamais toute son énergie, ne se laissant jamais emporter par quelque pulsion ou violence gratuite. En veillant ainsi à ne pas s’affaiblir, il reste celui qui domine, du début à la fin. Le personnage du driver renferme deux faces, l’une cachant celle que l’autre ne révèlera jamais. C’est un être en constant balancement, comme tiraillé entre deux extrêmes : s’il semble calme et maladroit humainement, il ne l’est plus face à la machine (sa voiture) qu’il maîtrise parfaitement, filant à toute allure tout en restant imperturbable.
Le driver, qu’il soit incarné par Ryan O’Neal ou par Ryan Gosling, reste tout entier un personnage résolument classique, presque macho. Le Drive de Refn le proclame haut et fort, notamment à la fin du film où la chanson « A Real Hero » accompagne les gros plans de Ryan Gosling au volant. Un véritable héros comme on n’en fait plus. Dans l’un ou l’autre des cas (mais beaucoup plus chez Refn), le personnage du driver a cela d’agaçant qu’il semble être le centre de toute chose, les personnages qui gravitent autour de lui (surtout les femmes) apparaissant fatalement fades à ses côtés. Comme si chacun devait lui être redevable. Car le héros, c’est lui et rien que lui. Le personnage de Ryan O’Neal demeure tout de même plus modéré dans ce rapport à l’ego.
Deux longues courses-poursuites encadrent le film et montrent le talent du driver au volant de sa voiture. La première suit le héros, accompagné de deux cambrioleurs, essayant de semer les flics, tandis que la seconde inverse plus ou moins la situation, c’est le driver qui, ce coup-ci, poursuit un autre driver. La longueur de ces courses-poursuites est assez surprenante, allant jusqu’à durer une dizaine de minutes. Elles ne possèdent aucun accompagnement musical : c’est de l’action sans ornement, à l’état pur. Une action qui ne vaut que pour elle-même, confirmant la parfaite maîtrise du véhicule par le driver, que rien ne peut déconcentrer. Le montage se fait rapide, ciblant gestes et réflexes du pilote en une chorégraphie de mouvements assurée et infaillible. Les mouvements de caméra se font quelquefois subjectifs, certains plans étant perçus par les yeux du driver, filant à toute allure à travers la ville, jusqu’à nous donner la nausée. Le son est action, tous les bruits fusionnant en un brouhaha agressif et métallique : la sérénité du pilote contraste avec le grognement de la machine. La voiture vrombit, les sirènes hurlent, les freins dérapent : tous ces sons, du crissement de pneus au cri aigu du klaxon composent la musique bestiale et machinale de ces courses-poursuites qui semblent ne jamais prendre fin. Si ces longueurs font que le rythme des courses s’essouffle par moments, elles n’attestent que mieux de la persistance et de l’endurance du driver.
Walter Hill adapte dans son film des stéréotypes classiques, et ce sont les personnages qui attestent le mieux de cette transposition et de ces références. Ils ne sont pas nommés et sont principalement définis par leur fonction au sein du film, tels le cow-boy solitaire auquel on peut facilement comparer le driver, ou encore le shérif entièrement obsédé par sa proie, qui se réfère au flic maniaco-agressif incarné par Bruce Dern. Si dès les premières minutes où elle apparaît, le personnage d’Isabelle Adjani surprend par sa beauté glaciale de femme fatale, l’effet ne dure pas : tout en étant fortement impliqué dans l’action, son personnage semble rester constamment en retrait. Sans doute encore une fois à cause de la trop grande place qu’occupe le driver.