Le film se propose ouvertement de s’attaquer à un problème majeur de société : la violence faite aux femmes. Toutefois, pris au piège de son histoire, The dead girl s’engouffre dans un morcellement des points de vues et des personnages et perd le fil de son sujet, le livrant à l’interprétation des spectateurs.
Le problème tient peut-être à la démarche. La cinéaste déclare avoir conçu son film à partir d’une question qui la hantait, mue par ce qu’elle avait ressenti au procès sur l’assassinat d’une jeune prostituée, lors duquel elle faisait partie du jury. «Comment pouvons nous vivre dans un monde où les femmes et les enfants sont régulièrement en danger et peuvent frôler le pire à tout moment ? ». Elle-même revendique son film comme une réponse, un « film-réponse » à une question qui est, sans doute, épineuse. Pourquoi pas. Mais si on accepte la légitimité de la question, quid de la réponse ?
La découverte d’une jeune fille morte (nue et blessée, détail qui laisse apercevoir le ton du film) au milieu d’un champ est pris à prétexte pour cinq portraits de femmes : l’étrangère qui découvre le corps ; la sœur qui espère que le corps est celui de sa sœur disparue ; l’épouse qui pense que son mari pourrait être le tueur, la mère qui enquête sur ce qu’était la vie de sa fille ; la jeune fille morte, qui rêvait de changer de vie.
Le film essaye d’aborder la question en multipliant les points de vue. Ainsi chaque chapitre, par le biais d’un personnage différent, porter un nouveau regard sur la mort de cette jeune fille. Toutefois les choix, les actions, les comportements de ces femmes sont figés. Chaque personne est enfermé dans son rôle. L’exemple plus limipide, qui frôle le cliché, c’est l’épisode dans lequel la mère, haute bourgeoise, découvre la vie dissipée de sa fille et par réaction essaye de "sauver" sa petite fille. Chaque scène est si prévisible qu’il devient difficle les faire travailler ensemble, en chercher les rapports, les assonances, les discordances, et la cinéaste, de ce point de vue, ne nous aide pas beaucoup.
Le film évite soigneusement de tirer une conclusion définitive et de prendre position. Voilà qui peut amener le spectateur à une désorientation, et donner l’impression d’un relativisme aussi prudent que peu propice à la pensée. L’écriture du film découle de cette approche et révèle la méthode: à chaque portrait de femme un chapitre, isolé par des cartons, de façon à complexifier la toile. Le scénario avance ainsi par bribes et indices, l’histoire est construite par le spectateur lui-même, et le film prend lentement la forme d’une enquête. Intriguant ?
Malheureusement pas trop. En effet le petit jeu auquel la cinéaste nous invite se révèle assez convenu et par là, pas très intéressant. Délaissé dans une intrigue que la cinéaste renonce à mener, croiser et à conclure, le spectateur n’a qu’à s’accrocher aux détails pour redonner un sens à l’ensemble. Chaque plan, par la façon dont il est construit, appelle en effet à une interprétation et charge le film d’éléments symboliques, comme la cinéaste le confirme dans un entretien qu’on peut lire sur le dossier de presse. Dés le début, le détail d’un collier sur lequel est écrit "taken" (prise), retrouvé sur le corps de la jeune fille, nous met en garde. Ensuite les gros plans, les détails, les élément ouvertement "signifiants" s’enchaînent: des blessures, du feu, des mains…
De nombreux éléments sont amenés à occuper l’entière surface de l’écran et renvoient à un imagerie assez codifiée, tirée de la psychologie vulgaire (au sens littérale). L’univers de référence est ainsi un peu facile et retombe dans les classiques rapports familiaux troubles, le sexe, la violence, le sang sans oublier beaucoup de larmes et de « figures substitutives » (la petite fille, la « sœur », des doubles etc….Détails qui ne servent pas tant à orienter le spectateur, mais lui laissent seulement la possibilité de se livrer aux interpretations les plus disparates.
Cette surabondance de psychologismes, conséquence d’un visible penchant pour un cinéma symbolique et signifiant, rend la proposition de départ de The Dead Girl ternie, affaiblie, voire floue… Un film qui vise et réussit sur le moment à toucher, déranger, gêner, mais qui finalement laisse un sentiment d’inachèvement profond.