L’originalité d’un projet comme Speed Racer fait facilement oublier que le film est une adaptation fidèle d’un vieux dessin animé japonais, sans doute culte pour les adolescents de 40 ans, mais inconnu pour l’essentiel du public. Un univers basé sur une succession de courses fantastiques, disons que ça fait plus penser à Satanas et Diabolo (à quand la version live ?!), mais bon, là n’est pas le sujet…
Sans attendre les tréfonds de mauvais goût d’un Spy Kids 3–D, Speed Racer va néanmoins très loin dans l’arabesque fluo et l’abstraction pop, s’inspirant d’un récent courant graphique nippon, le flat art, pour raconter l’histoire de Speed, gentil prodige de la course habillé de blanc, et du mystérieux Racer X, un concurrent au visage masqué. De manière assez ahurissante, Speed Racer joue à fond la carte du manichéisme le plus enfantin : la famille Racer et son univers rose bonbon pétri de valeurs humaines s’oppose ainsi au conglomérat industriel dénué de scrupules de Royalton. Ces rivaux vont fatalement en découdre sur la piste, au cours de plusieurs courses de longue haleine, de plus en plus rapides, de plus en plus spectaculaires…. de plus en plus exténuantes, aussi. Malgré cette intrigue famélique et linéaire au possible, compréhensible pour n’importe quel enfant de moins de six ans, Speed Racer s’étend tout de même sur plus de deux heures ! Alors pourquoi dès le départ s’infliger cette «expérience » ?
Très honnêtement, l’unique attrait de cette super-production pour le moins bigarrée réside dans la personnalité de ses auteurs : les fameux et invisibles frères Wachowski, grands manitous de l’univers Matrix, qui avaient depuis la sortie du troisième épisode uniquement fait parler d’eux pour avoir produit V pour Vendetta (une adaptation, déjà, qui rendait justice à Alan Moore, que les deux frangins ont pillé avec entrain dans leur trilogie). Les voir revenir derrière la caméra pour un show mécanique psychotronique et manifestement destiné aux (grands) enfants laisse songeur : Andy et Larry sont-ils devenus à ce point dingues des nouvelles technologies pour avoir créé ce concept-film, où tout n’est qu’esbroufe et vaine tentative de faire un cartoon live ?
Fuites en avant et ivresses virtuelles
Avec sa débauche d’effets visuels et sa création d’un univers totalement numérique, où surnagent tout de même les corps des acteurs, Speed Racer a tendance à impressionner. Les Wachowski le savent mieux que personne, le virtuel permet tout, d’un combat kitsch façon Batman sixties à une poursuite infernale dans un désert fantasmé. Ils ont le bon goût de ne pas se freiner dans leur délire, faisant bondir dans tous les sens leurs bolides surarmés, multipliant les expérimentations graphiques, les ruptures de ton et les références bien vues au monde de l’anime et du jeu vidéo. Ce jusquauboutisme donne une certaine cohérence à un film par ailleurs problématique : en dépit de leur aura de méta-geeks ayant créé un monde de référence dans la pop culture moderne (la Matrice, donc), les frères Wachowski ont choisi de niveler tous les enjeux et ambitions thématiques de leur dernier-né, par le bas. Impossible de ne pas être consterné par exemple par les personnages du petit frère et de son singe «funky » (qui fait du smurf dans le générique de fin…), à l’origine des séquences les plus « autres » du film. Impossible également, de s’attacher à un Speed dont les seules aspirations (sans mauvais jeu de mots) sont la victoire et le bonheur de ses proches.
Familial jusqu’à l’outrance, Speed Racer souligne au marqueur chaque rebondissement de l’histoire, et n’abandonne jamais, malgré sa plastique flashy, un ton très premier degré, qui l’empêche au final d’être ce tour de montagnes russes inoffensif qu’il pourrait être. Demeurent malgré tout quelques bonnes surprises, comme Melvil Poupaud dans un rôle de commentateur glandeur, ou les allusions crypto-sexuelles disséminées tout au long du film (on peut les trouver au détour d’une bouteille de lait ou d’un X tatoué sur le haut d’une combinaison en cuir noir, ce genre de choses…). Le final enfin, en bon climax assumé, tente carrément d’égaler l’orgasme sensoriel d’un 2001, l’odyssée de l’espace, plongeant l’espace de quelques secondes le spectateur hébété dans une transe hypnotique qui laisse sur les rotules. Exténuant ? Check. Abrutissant ? Check. Unique en son genre ? Check aussi.