Small Axe, une mini-série de Steve McQueen. Coffret chez France TV Distribution.

Article écrit par

Disponible le 1er septembre en coffret Blu-Ray, Small Axe prouve que la télévision peut offrir de sublimes moments d’art engagé et transcendental.

Un voyage vaste et faste, aux bifurques amples, dans une autre époque…

Quatre portraits et une rêverie. Quatre histoires vraies et un moyen-métrage éthéré, incarné. Quatre combats contre le racisme et pour sa communauté, et une émulsion pas si narrative, pas si pédagogue mais extrêmement bienvenue. Rythmé de façon torride par des paso doble au miel et au sucre, ainsi qu’une ambiance saisissante de « house party » saveur ragga/reggae, Lovers Rock, le deuxième des cinq épisodes de la mini-série Small Axe, est une pièce importante de l’ensemble. Il ne ressemble pas aux autres volets de ce projet anthologique, mais il les complète, et fait planer son ombre invitante sur tout ce qu’on verra par la suite. Le réalisateur, coproducteur, coscénariste Steve McQueen y fait une promesse : Ces corps qu’il illustre, si souvent plongés dans la lutte, si souvent tendus par l’adversité, sont aussi des corps qui s’aiment et s’attirent, qui se croisent et se quittent sur des tempos d’enfer et des musiques comme celles qui nous font dire qu’on est exactement à notre place, à des moments donnés. Et de ces personnages (comme ceux des autres épisodes : Des britanniques noirs mis à l’épreuve dans leur désir de vivre pleinement, des années 70 à 80), on découvre alors une intériorité qui n’est pas celle des codes télévisuels connus, mais celle de l’art contemporain, et des films d’installation. McQueen vient après tout de ce monde-là.

Vers le milieu de Lovers Rock, on assiste à une séquence longue de près de dix minutes, où on ne suit presque rien d’autre que les mouvements et les ardeurs de jeunes qui dansent, puis chantent sur le morceau Silly Games, de Janet Kay. McQueen joue le jeu. À l’écran, rien ne se déroule qui briserait l’illusion : Rien ne s’y passe qui soit plus spectaculaire que ce qu’on pourrait voir dans n’importe quelle autre « house party » de l’époque. C’est l’intérêt palpable du cinéaste pour les sujets qu’il filme qui va nous tenir en haleine. McQueen prend tout à fait au sérieux les nano-rencontres et les micro-histoires qui peuvent se dessiner, le temps d’une chorégraphie chaloupée, entre deux jeunes adultes. Et il prend tout à fait au sérieux l’exercice de raconter un récit plutôt avec sa silhouette qu’avec des dialogues (ceux de la scène sont presque tous des répétitions de refrain).

Un artiste qui ne s’est jamais mis au-dessus de ses acteurs, lui-même s’était déjà soumis à ce défi, dans le temps : Bear est un film court de 1993 qui décrit une série d’interactions entre son corps, tout jeune et tout nu, et celui d’un de ses amis. Cet objet filmique, comme Lovers Rock, est donc une opérette somatique qui chante les louanges de la flexibilité et de l’extensible. Dans les deux œuvres, l’élasticité d’un corps individuel, raconte l’élasticité d’un rapport, d’un lien. Et cette élasticité de la relation, raconte l’élasticité d’une communauté. Ainsi, Lovers Rock est un texturama riche et tactile qui propose une définition de la notion de communauté : Comme toute chose élastique, on ne prend pas immédiatement mesure de sa nature profonde, au premier coup d’œil. C’est quand on y exerce une force, quand on y oppose une pression, qu’on réalise à quel point ses composants sont unis entre eux, et rendus solides par cette union ductile.

… Ses détours sont audacieux, mais toujours parfaitement justifiés.  

Magistrale, incroyablement aboutie, Small Axe a aussi de la poigne et un certain sens de l’humour. Ses deux acteurs les plus célèbres sont Letitia Wright et John Boyega. La première, connue pour sa participation à une certaine franchise des studios Marvel, joue Altheia Jones, une militante du parti Black Panther du Royaume Uni. Et le second, révélé au grand public par un rôle dans la dernière trilogie Star Wars, incarne Leroy Logan, un fondateur de la Black Police Association de Londres. La crémaillère de son entrée dans les forces de l’ordre s’accompagne de ce dialogue : « I wanna join the force. » / « What ? You gonna be a Jedi or something ? » Aussi, et c’est salutaire, ces clins d’œil ne sont pas que des clins d’œil. Ils sont drôles, mais ils ne sont pas seulement drôles : Puisqu’on sait de ces deux franchises pesant des milliards qu’elles ne sont pas l’endroit de performances brillantes, la qualité du jeu de Wright et de celui de Boyega a un aspect correctif. Intranquille, mais persévérante et amoureuse de la vie, Wright l’est autant ici qu’elle était gentiment espiègle dans Black Panther. Déterminé, mais paisiblement marqué par son isolation et ses mises au ban sans catharsis, Boyega est, dans Red, White and Blue (troisième épisode de la série), aussi complexe dans sa partition qu’il ne l’était pas dans Le Réveil de la force. Seigneur, quels paris réussis ! Quels comédiens parfaitement distribués et au point, et quel étalonnage captivant – Figues sans raisins et mangues juteuses faites pellicule, grâce à l’orfèvre du chef-opérateur Shabier Kirchner. Les éléments qui appellent les diatribes – et on a vu qu’il y en a beaucoup – sont tels qu’ils font oublier quelques menus ratés. La fin du premier épisode, Mangrove, est peut-être un peu abrupte : C’est le plus gros de ces petits défauts.

Pour conclure sur la performance de Wright : L’actrice, comme ses partenaires de jeu, donne beaucoup d’épaisseur à une distribution d’ensemble, autour du protagoniste de Mangrove, joué par Shaun Parkes. Dans l’épisode, Parkes incarne un restaurateur affublé malgré lui d’un grand sens de la justice et de l’honneur. Ne se décrivant pas comme un militant, il va finir par devenir, une fois de plus, un vecteur, un définisseur de communauté pour les gens qui partagent son héritage et qui raffolent de ses plats. En lui, on découvre une figure fascinante de héros involontaire, rendu plus complexe par sa renfrogne dominicale de tonton et son naturel de cousinade. Il va connaître un remake de passion alors que les autorités s’acharnent sur lui.

La manifestation, puis le procès dans lequel il va se retrouver impliqué le dépasse : La logique qui motive sa métamorphose vers le collectif est pourtant simple. Il s’agit de lois de la physique appliquées à la justice sociale. Et, finissant par se résigner à l’appel d’air Gethsémanien qui fait de lui un modèle et une figure centrale pour ses pairs, son regard est littéralement changé. Vers la fin de Mangrove, la déclamation des verdicts juridiques pour lui et ses huit coaccusés se fait au-dessus d’un gros plan pour son visage. Individualiste, il ne le sera plus jamais, comme le prouve le fait qu’il ne s’autorise à exprimer émotion ni positive, ni négative, avant d’entendre les neufs sentences des membres du groupe, et non seulement la sienne.

Titre original : Small Axe

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre : , , , ,

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi