Sergent Major Eismayer

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Homme et armée.

Sergent-Major Eismayer de David Wagner commence avec une série de nouvelles recrues alignées, se présentant à leur supérieur lors de leur premier jour dans les forces armées autrichiennes. Quand vient le temps de parler au confiant Mario Falak (Luka Dimić), l’un des officiers remarque qu’il est plus âgé que la plupart des autres recrues. « Maman ne voulait pas me laisser partir », répond hardiment Falak, le provoquant, et l’homme n’est pas impressionné. « Un cas typique pour Eismayer, n’est-ce pas ? », se réjouit l’officier auprès d’un camarade soldat, sachant quelque chose que Falak ignore encore.

Ce quelque chose, c’est le sergent-major Charles Eismayer (Gerhard Liebmann), l’instructeur le plus sévère et le plus redouté des forces armées, qui est sur le point de devenir le pire cauchemar des recrues. Il ne tarde pas à faire son apparition, et nous sommes présentés à un homme qui crie beaucoup, insultant, rabaissant et punissant constamment les jeunes hommes qu’il est censé former, et passant ses journées à réaffirmer son autorité sur eux encore et encore. Mais il y a aussi une autre facette d’Eismayer, c’est l’homme qu’il est en privé, lorsqu’il rentre à la maison avec sa femme et son fils, et il devient soudain plus doux mais aussi plus calme, évitant les confrontations, avec des démonstrations d’affection et un air extrêmement fatigué, comme s’il menait une vie qui n’est pas vraiment la sienne.

En fait, Eismayer évite souvent de rentrer chez lui jusqu’à ce que cela soit strictement nécessaire et passe autant de temps que possible au travail, un endroit où il est craint et détesté – à tel point que même son propre supérieur, le sergent Karnaval (Christopher Schärf), désapprouve ses méthodes – mais où il a aussi un rôle clair à jouer – celui de « l’homme ».

Mais il y a une histoire derrière la façade sévère d’Eismayer, et cela nous apparaît clairement lorsque nous découvrons que Falak est ouvertement gay, et Eismayer se retrouve obligé de mettre un terme à une bagarre entre camarades qui a pour origine une autre remarque audacieuse faite par le jeune homme. Le combat en question se termine avec Falak qui prend le dessus sur Eismayer, transformant la tentative de punition de ce dernier en une opportunité de faire une déclaration de la manière la plus audacieuse et la plus provocatrice possible. « Il n’y a pas de place pour les pédés dans l’armée », commentera plus tard le supérieur d’Eismayer, en évoquant « l’incident » avec le sergent, et on comprend à quel point certains préjugés sont profondément enracinés dans le système.

Eismayer lui-même fait partie de ce mécanisme, car son idée de la façon dont un « homme » devrait se comporter ne pourrait être plus fausse, et le film nous donne une analyse intelligente de la progression délicate du protagoniste, en particulier dans un environnement dominé par les hommes comme l’armée. Mais le film fait bien plus que cela, car il nous donne également l’exemple d’un homme qui assume à tout moment son homosexualité avec confiance, nous montrant que les autres camarades sont prêts à l’accepter quoi qu’il arrive, et prouvant que les temps ont changé, quelles que soient les méthodes d’Eismayer.

 

Mais ce n’est même pas le but du film. Basé sur une histoire vraie, le film de David Wagner parle avant tout d’une lutte interne que notre personnage principal a vécue toute sa vie, depuis le moment où il a avoué à ses parents, lorsqu’il était jeune homme, qu’il était gay, et que leur réaction fut d’abord de lui dire que cette phase allait passer, puis de l’envoyer dans l’armée pour apprendre à « devenir un homme ». Depuis lors, Eismayer se cache à la vue de tous, enfouissant sa propre identité au plus profond de lui et projetant au monde une image de lui-même qui est à l’opposé de ce qu’il est réellement. Il lui faut tomber amoureux de Falak pour que cette dynamique commence à s’effondrer, mais le voyage d’Eismayer n’est pas aussi facile qu’il y paraît, car pour pouvoir aimer quelqu’un d’autre, il doit d’abord apprendre à s’aimer et à s’accepter.

Sergent-Major Eismayer est tout simplement un film brillant, combinant une histoire vraie incroyable, importante, qui ressemble à un conte de fées moderne avec l’étude complexe du personnage d’un homme qui ne découvre qu’il est acceptable d’être qui il est que lorsqu’il se voit dans les yeux des gens autour de lui, du plus grand que nature Falak au désarmant Dominik, son propre fils. Histoire incroyablement émouvante, mais aussi pleine d’ironie, qui vous surprendra même à rire plusieurs fois. Un film à la fois magnifiquement intime et férocement puissant, mené par les superbes performances de Gerhard Liebmann et Luka Dimić, et un talent impressionnant derrière la caméra. La mise en scène de ce premier long métrage de David Wagner mise sur la notion de durée : un film quasi minimaliste, avare de détails inutiles, mais riche en beaux moments entre la vie en caserne et en famille subtilement alternés dans cette œuvre d’un cinéaste prometteur.

Titre original : Eismayer

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Durée : 87 mn


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