River of Grass

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Datant de 1994, le premier film de Kelly Reichardt sort enfin sur nos écrans : un charme certain et, surtout, plein de belles promesses.

Dans son numéro du mois de juin 2019, les Cahiers de cinéma aborde avec la qualité d’analyse que l’on sait  » l’autre cinéma américain ». Choix éditorialiste assumé; en se focalisant  quasi essentiellement sur les nouvelles tendances, la revue fait l’impasse sur un grand nombre de réalisateurs emblématiques du cinéma indépendant actuel. La sortie de River of Grass est l’occasion de s’arrêter sur l’une de ses plus belles figures : Kelly Reichardt. Depuis ses débuts, avec ce film, on retrouve la même volonté d’explorer les lisières de la culture américaine, dans la notion de genre cinématographique comme le western avec La dernière piste, mais surtout sur l’attention portée sur des personnages sur le fil, prêts à rompre avec le cadre qui leur est imposé. Refus du spectaculaire, personnages peu accessibles et pas forcement charismatiques, la réalisatrice tourne peu et à moindre frais. Tel est le prix de l’indépendance. Si cette première œuvre balbutie logiquement  par moments, elle dévoile les perspectives d’un regard singulier et fort sur une autre Amérique.

 

Une certaine femme

Mariée, trois enfants en bas âge, Cozy n’a rien d’une femme au foyer modèle. Sans ambages, mais sans provocation, sa voix off avoue l’absence de tout lien affectif avec ses progénitures. Pour redonner un peu vie à son existence rien de tel qu’une rencontre nocturne. Tout semblerait écrit et jugé à l’avance si Kelly Reichardt n’était pas une exploratrice de l’âme féminine. Pour une femme incertaine rien ne déroule comme prévu. L’escapade de Cozy annonce les portraits de Certaines femmes, la plus belle réussite de la réalisatrice à ce jour. Un montage en trompe l’œil, l’importance accordée aux gestes et la volonté de laisser le récit en suspend ; le style Reichardt est déjà bien en place.

River of Grass aurait gagné en évitant quelques redites sur la nature des personnages, plus particulièrement dans sa première partie. Un peu plus gênant, le casting n’est pas forcement à la hauteur. Liza Bowman et Larry Fessenden font des efforts pour rester le plus possible naturels (sans totalement convaincre pour autant), c’est beaucoup plus délicat pour les seconds rôles.

 

 

Un Road- Movie immobile

Après s’être persuadés d’avoir commis l’irréparable, les Bonny and Clyde inoffensifs aux pieds-nus ne voient qu’une seule issue possible; l’échappée belle. Mais ce rêve d’évasion ne les mène pas bien loin. Fauchés comme les blés et incapables de rapiner de quoi mener la grande vie, ils échouent dans un motel sur la route de Miami. L’herbe n’y est pas plus verte. Le montage alterné entre les fuyards à présent bloqués et la police des Everglades qui n’a pas encore décollée accentue le déterminisme qui pèse sur les oubliés du « miracle américain ». La mer a remplacé la rivière en toile de fond, mais ce qui intéresse le plus le regard naturaliste de Reichardt c’est la banalité urbaine qui s’impose dans le quotidien des drifters, quelque soit leur origine ethnique. rues quasi-désertes, bars figés et convenience-stores pauvrement achalandés.  On échappe pas aux blues, comme dans les paroles de « Rio Grande »,d’Eddy Mitchel, inconditionnel du cinéma hollywoodien , pour nos deux cavaleurs, on peut toujours croire que «  Dès la frontière passée, nous s’ rons blanchis, sauvés » mais malheureusement « Le Mexique est bien loin du supermarché ».

Comme les westerns l’ont souvent démontré, c’est pas le flingue qui fait le cow-boy. Lee qui a récupéré par un concours de circonstances le symbole par excellence de la virilité américaine l’illustre à ses dépends. Lors du braquage improvisé d’un drugstore et pour tuer un cafard dans la chambre du motel, il perd systématiquement tout contrôle de sa gestuelle. Volontaires ou non, ces deux moments burlesques nous renvoient à des situations vues chez Woody Allen, respectivement dans « Prends l’oseille et tire toi »  et  « Annie Hall ». Les cow-boys ne sont plus ce qu’ils étaient, ou peut être ne l’ont-ils jamais vraiment été. Après River of Grass, Kelly Reichardt va continuer à suivre la route de marginaux, d’aventuriers ou de simples résistants à la rudesse parfois hostile de ces no man’s land partagés entre modernité et archaïsme. Sans pathos ni cynisme, avec juste le désir d’observer et de rendre simplement compte.

 

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Durée : 76 mn


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