Les Enfants du paradis

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Chef-d’oeuvre de Marcel Carné.

Il paraît que c’est le film préféré de l’impératrice du Japon : c’est dire si le rayonnement des Enfants du Paradis, qui date de 1945, n’est pas prêt de s’éteindre, d’autant que la Cinémathèque française et une ressortie DVD rallument la flamme. La spécialiste de Jacques Prévert, Carole Aurouet, a participé à l’édition du DVD, et son analyse permet de comprendre le travail de Jacques Prévert pour le scénario du film, et le passage à l’écran réalisé par Marcel Carné.

Pourquoi ce film a-t-il tant fonctionné dans l’imaginaire collectif ? Sans doute, historiquement, parce qu’il est l’annonce à peine masquée de la Libération du peuple de Paris, tout comme en 1942 Les Visiteurs du soir, des mêmes Prévert et Carné, était le symbole de la Résistance. Mais ce qui explique que Les Enfants du paradis ait franchi les années avec autant d’allégresse et de force s’explique sans doute par ses significations multiples et sa symbolique protéiforme. Déjà, le titre fascine si l’on ne sait pas ce que représente ce paradis. Il ne s’agit pas d’un film angélique, mais d’une œuvre qui tourne en boucle autour de l’art complémentaire du cinéma : le théâtre. Le paradis, au théâtre, désigne en fait les places les moins chères – les enfants du paradis sont donc les spectateurs pauvres, les classes populaires. Il ne faut pas oublier que le film se situe à Paris sur le boulevard du Temple, au XIXe siècle à l’époque de Louis Philippe, avec ses théâtres où se jouent chaque soir des mélodrames aux sanglants dénouements, surnommé « Le Boulevard du Crime ». C’est là que le comédien Frédérick Lemaitre aborde la belle Garance, interprétée par Arletty. C’est ici que le film commence et nous ne dirons rien de la suite de l’histoire, pour ne pas ôter le plaisir des spectateurs qui n’auraient jamais vu ce film.

Possédant divers niveaux d’approches analytiques, Les Enfants du paradis peut s’aborder sans ne rien connaître de l’Histoire de France, ni de l’Histoire du cinéma. Les nostalgiques y retrouveront un monde à jamais disparu, celui des théâtres de boulevard, les belles tenues et le Paris des calèches et autres petits métiers. Les amoureux du cinéma y verront l’illustration du rêve de Méliès et des frères Lumière tout à la fois, grâce à la beauté des décors, au scénario tricoté main et à l’éclairage qui fit les beaux jours du cinéma poétique à la française. Les historiens seront eux aussi à la fête, presque autant que les badauds du cinéma, ceux qu’on appelle le « bon public », et on espère qu’enfants et ados le verront aussi avec plaisir tant il s’agit d’un film mystérieux et envoûtant.

 

Servi par un casting d’exception (Arletty, Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Pierre Renoir – frère de – et Maria Casarès notamment), le film se donne comme un miroir à peine déformé d’une société parisienne à jamais disparue mais éternelle, fixée par la grâce d’un cinéma intemporel. On a comme l’impression de voguer dans un rêve de film, dans des décors de théâtre : impression encore décuplée par le mélange de réalité et d’interprétation, notamment par la présence quasi hypnotisante du Pierrot lunaire, auquel Jean-Louis Barrault a prêté ses traits et son talent pour l’éternité, en s’inspirant (c’est le cas de le dire tant l’identification est intense) du mime Jacques Deburau. Certains pourraient rétorquer que le film a vieilli, mais il n’a pas perdu le charme de son « inquiétante étrangeté » qui en fait toute sa force, sans doute parce que Jacques Prévert a su se souvenir de son engagement surréaliste et son appartenance au groupe Octobre en écrivant son scénario. C’est ce mystère qui nous taraude inconsciemment pendant la projection et longtemps après avoir vu ce film intemporel. Pourquoi ces personnages, maintenant un peu désuets, continuent-ils de marquer notre imaginaire, comme si Prévert et Carné, un peu comme avec Les Feuilles mortes, avaient su faire œuvre intemporelle et universelle, à la manière des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature, dans le genre des Zola, des Dostoïevski et autre Tolstoï ?

Jacques Lourcelles, dans son Dictionnaire des films, a su trouver mieux que quiconque les mots qu’il faut pour interpréter Les Enfants du Paradis :  « Ce monument du cinéma français n’a jamais connu d’éclipse auprès du public même durant la période assez longue (autour des années 50-70) où il était de bon ton de mépriser Carné. […] Moitiés être de chair et de passion, moitiés fantômes, le monologue est [le] moyen d’expression privilégié [des personnages] – Pour Baptiste monologue de gestes et d’attitudes. Enfermés dans leur propre destin comme des monades, ils ont du mal à communiquer avec autrui et surtout avec ceux qu’ils aiment ». Enfin, outre ces considérations psychologiques sur l’impact d’un tel film sur le public mondial, il ne faut pas oublier qu’il représente aussi l’amitié selon Jacques Prévert et son engagement politique, discret et pugnace, dans cette époque de l’Occupation particulièrement trouble. Les Enfants du paradis se lit dans tous les sens, n’est à manquer sous aucun prétexte, en se servant de l’exposition à la Cinémathèque française et des nombreux livres et sites sur Internet qui paraissent à cette occasion, couronnée par une édition DVD et Blu-ray du film remasterisé chez Pathé.

Titre original : Les Enfants du paradis

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Durée : 192 mn


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