Rencontre avec Tim Burton

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Tim Burton était de passage à Paris pour présenter « Frankenweenie ». Une séance de questions-réponses bon enfant, à l´image d´un cinéaste nostalgique de sa jeunesse.

Si la version long métrage de Frankenweenie qui sort mercredi sur les écrans garde finalement beaucoup de points communs avec le court métrage éponyme de 1984, son réalisateur a lui totalement changé de dimension. En trente ans, Tim Burton est passé du statut d’artiste torturé mais indéniablement talentueux, luttant pour faire aboutir ses projets et faire entendre sa voix à Hollywood, à celui de cinéaste-star absolu, propriétaire unique d’un univers qui n’appartient qu’à lui et qui s’est transformé en trademark. On parle depuis longtemps d’influences « burtoniennes », comme on le disait de Tarantino. Cette reconnaissance mondiale a même abouti à une exposition prestigieuse de ses croquis au MoMa, puis à la Cinémathèque française. « Ça m’a permis de m’aider à nettoyer la maison, d’une certaine manière », souligne le réalisateur. Ce succès s’est toutefois accompagné d’un certain embourgeoisement artistique, ses derniers films peinant à retrouver la fraîcheur et la puissance d’émerveillement de ses débuts.

Avec Frankenweenie, Burton, qui vit désormais à Londres, se repenche avec amour sur un court qu’il avait conçu à ses débuts chez Disney. « J’étais animateur chez Disney en 1984. Je travaillais sur des dessins animés comme Rox et Rouky. C’était une période vraiment frustrante. J’étais si mauvais qu’ils me laissaient faire quelques petites choses à côté, comme ce court métrage, Frankenweenie », explique-t-il à l’audience qui est venue le rencontrer suite à une avant-première à l’UGC de La Défense. « Au fil du temps, j’ai eu l’occasion d’y repenser, car c’est une histoire qui contient beaucoup d’éléments autobiographiques, que ce soit le chien, les professeurs étranges… Je m’y suis mis sérieusement avec cette idée de faire un film en stop motion, en noir et blanc et en 3D. » Une relecture en version longue que le metteur en scène ne voit pas comme l’aveu d’un manque d’inspiration. « Non, je n’ai pas eu l’impression de refaire quelque chose que j’avais déjà fait. J’ai pu aller plus loin que la simple redite de Frankenstein (James Whale, 1931), et partir vers d’autres références comme House of Frankenstein (Erle C. Kenton, 1944) en insérant plein de monstres. »

Derrière la colline d’Hollywood

Cette relecture enfantine du Frankenstein (1818) de Mary Shelley combine de fait l’amour bien connu de Burton pour les monstres de la Universal, et les souvenirs de son enfance à Burbank, banlieue californienne proche de la colline d’Hollywood. « C’est un endroit étrange, qui n’a pas beaucoup changé depuis mon enfance. Quand on est jeune, on imagine pas que de l’autre côté de la colline, se trouvent les studios Universal où se tournent les films qu’on adore. » Burton se souvient de cette période où l’ennui le disputait au besoin de découverte. « Comme la plupart des familles, la mienne était dysfonctionnelle, avec ses bons et ses mauvais moments. Mon père était un joueur de base-ball qui s’était blessé et a fini agent de voyages. Je me souviens qu’il y avait un drive-in, et aussi un vieux cinéma qui proposait des triples programmes pour 50 cents, où j’allais souvent. »

 

Cette matière autobiographique a directement contribué au scénario de Frankenweenie, selon Burton. « C’est sans doute le premier film où j’ai basé mon histoire sur des souvenirs spécifiques. Par exemple, la « fille bizarre », j’en ai connu des comme ça, comme des professeurs imposants et un peu inquiétants. Par certains aspects, j’étais un peu comme ce petit Victor, fan de cinéma, de films Super 8, avec un chien… Beaucoup de choses sont tirées de là, jusqu’au look de salle de classe, des rues… C’est le premier projet où j’ai pu relier une histoire à ces éléments. »

Le projet a donc rapidement pris une tournure plus intime pour le réalisateur de Sleepy Hollow (1999), renforcée par son choix de ne pas sous-traiter le design des personnages et des décors à quelqu’un d’autre que lui. Après L’Étrange Noël de Monsieur Jack (Henry Selick, 1993), qu’il avait produit, et Les Noces funèbres (2005), le film fait aussi office de nouvelle expérience dans le domaine du stop motion. « Le stop motion est selon moi la forme la plus pure d’animation, vous y voyez vraiment le travail de l’artiste dans tout son volume. Nous avons d’ailleurs essayé de faire le plus d’effets en réel, sans ordinateur, qu’il s’agisse des larmes, ou même de reflets dans l’eau, des miroirs qui se cassent… Bien sûr, certaines choses comme les éclairs sont faites par ordinateur, mais elles devaient être réalisées dans l’esprit de la stop motion, pour garder cet esprit artisanal. »

Mes films, Disney et moi

Interrogé sur le paradoxe qui le voit devenir l’une des têtes de gondoles de Disney après avoir vécu un calvaire chez eux en début de carrière, Burton réfute tout retournement de veste. « Disney a une place spéciale dans mon cœur. Cela fait partie de mon histoire, de mon enfance. J’ai fait quelques films pour eux ces derniers temps, parce que je leur suis toujours reconnaissant de m’avoir donné l’opportunité de réaliser des courts comme Vincent (1982) et Frankenweenie. J’ai grandi en regardant leurs films, comme Alice au pays des merveilles (C. Geronimi et W. Jackson, 1951), que j’aime en partie. Ma frustration dans les années 80 venait du fait que le studio traversait une mauvaise période. Le studio a tellement changé depuis, je n’ai rencontré aucune réticence avec ce projet, même sur l’utilisation du noir et blanc. »

 

Bien que son film soit rempli de références et clins d’œil à sa première partie de carrière, jusque dans la musique de Danny Elfman, Tim Burton se révèle assez peu amateur du coup d’œil dans le rétroviseur. « Je ne regarde pas trop mes anciens films », lâche-t-il, soupirant avec ironie lorsqu’on lui demande quel est le film dont il serait le plus fier. « Tous mes films sont différents. Pee-Wee (1985) est spécial parce que c’était mon premier long métrage. Beetlejuice (1988) était spécial aussi parce que c’était très spontané. Batman (1989) était mon premier gros film, Edward (1990) mon premier travail vraiment personnel… Je peux tous les reprendre et y attacher un sentiment particulier. Il y a une chose étrange dans ma filmographie, en tous cas, c’est le contraste entre l’accueil critique et public. Je peux avoir d’excellentes critiques pour un film et peu de spectateurs, et vice-versa. Je suis surpris à chaque fois. »

En attendant de savoir quel sort le public réservera à son Frankenweenie, Burton semble vouloir profiter de sa vie de famille et de la promotion de son dernier-né, avant de repartir sur un nouveau projet. « J’essaie de ne pas me projeter trop dans l’avenir », avoue-t-il. « Ce qui importe c’est l’état émotionnel dans lequel vous êtes au moment de faire un film. Je n’ai pas de projet spécifique que je sente indispensable au point de m’y mettre tout de suite. » Peut-être faudra-t-il pour cela que son ami Johnny Depp vienne à nouveau frapper à sa porte ?


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