Primer

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Des ingénieurs découvrent les conséquences d´une invention et plongent dans des paradoxes temporels. Tout finit par leur échapper jusqu´à leur propre identité. Vous ne comprenez rien? C´est normal : Primer, de Shane Carruth, est un thriller mathématique vertigineux et totalement abstrait. Jusqu´à l´écoeurement. Avec son sujet, son audace, son style visuel marqué (et la déconfiture […]

Des ingénieurs découvrent les conséquences d´une invention et plongent dans des paradoxes temporels. Tout finit par leur échapper jusqu´à leur propre identité. Vous ne comprenez rien? C´est normal : Primer, de Shane Carruth, est un thriller mathématique vertigineux et totalement abstrait. Jusqu´à l´écoeurement.

Avec son sujet, son audace, son style visuel marqué (et la déconfiture des premiers spectateurs), Primer appelle quelques phénomènes antérieurs du cinéma indépendant US comme Pi de Darren Aronofsky, dans lequel un scientifique fou taraudé par de vilaines migraines cherchait Dieu à travers un chiffre ; Following, le premier Christopher Nolan, petit film de roublard tourné avec trois bouts de ficelle et des acteurs inconnus dans lequel on percevait déjà les grands thèmes futurs du cinéaste (frontière entre le bien et le mal, voyeurisme, manipulation tacite…) ; ou encore Suture, de Scott McGehee et David Seigel, troublante quête identitaire en noir et blanc.

Avec cette première tentative (très remarquée), le jeune Shane Carruth a mis en scène un film très étrange en forme de casse-tête insoluble tourné avec 7000 dollars, qui peut se targuer d´avoir décroché un Grand Prix au festival de Sundance. Si, à la lecture du synopsis ou pendant le visionnage, on ne comprend rien, inutile de s´inquiéter : Primer est totalement hermétique voire incompréhensible. Sa principale ambition consiste à emmener le spectateur là où il ne s´y attend pas, ou plus précisément là où il n´a pas envie d´aller : dans le flou artistique total où tous les codes usuels de narration voire esthétiques sont farouchement annihilés, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle forme de cinéphilie où la métaphysique et le physique se cherchent joliment des noises.

Se déroulant intégralement dans une atmosphère de conversation secrète où le spectateur serait presque de trop – c´est à la fois sa qualité et son défaut -, l´ensemble dure à peine plus d´une heure dix et on a l´impression qu´il s´écoule pendant une éternité afin de créer l´inconfort et stimuler la suspension d´incrédulité. Bref, Primer n´a plus de durée ; ce qui est adéquat lorsqu´on parle de troubles générés par le voyage spatio-temporel. Pendant toute la première demi-heure, quatre ingénieurs confinés s´expriment dans un jargon imbitable aux notions vagues. Très vite, on comprend qu´ils profitent de leur temps libre pour se livrer à des expériences scientifiques et chercher à créer un dispositif permettant de réduire la masse apparente d´un objet en bloquant tout champ gravitationnel terrestre. Soudainement, sans que l´on s´en soit rendu compte, le récit prend une direction inattendue : celle de la quatrième dimension, à la fois irréelle et ancrée dans une réalité opaque, où deux protagonistes pensent avoir trouvé le moyen de voyager dans le temps et découvrent à leurs dépens les travers de ce don.

Les rebondissements sont tellement illogiques qu´ils cherchent à perdre dans des univers multidimensionnels. Le choc est tellement douloureux qu´on peut rapidement être tenté d´assimiler ça à de la provocation. Mais il faut aller au-delà des images pour repérer les indices comme le lieu de l´action (un garage anonyme en pleine région industrielle où les machines ont remplacé les hommes) et observer tout ce qui se trame dans la profondeur de champ pour établir les relations. On ne comprend tout de Primer qu´au gré de visionnages répétés même si, au premier degré, l´abstraction dans laquelle on baigne invite à succomber aux vertiges de la folie. Expérience ardue, on en convient. Etrangement cadré, filmé et joué, Primer, objet volubile et tonitruant, n´explique rien, ne résout rien, ne revendique rien. Comme toujours dans les exercices de style tarabiscotés et manipulateurs, c´est l´atmosphère vénéneuse qui prend à contre-pied jusque dans la manière dont le réalisateur organise ses plans. La démarche, théorique et prosaïque, sert à faire entrer par effraction des équations scientifiques afin de consolider une parabole sur l´avidité, l´identité et le pouvoir. A travers ce subterfuge, Carruth tend à démontrer qu´en dépit d´un confort matériel, l´homme ne sera jamais satisfait puisqu´il est en quête perpétuelle de nouveaux besoins toujours plus exigeants. Christopher Nolan racontait la même trame de manière plus accessible dans son dernier Prestige.

Mieux vaut être prudents : il est très difficile de savoir s´il s´agit d´un coup de génie ou du traquenard de petits escrocs immatures. On peut trouver ça fascinant comme insupportable mais au moins, on a vu quelque chose qui ne ressemble à rien de connu, et dont on se souvient longtemps après la projection. Un peu comme un cauchemar lointain dont on a envie de se débarrasser mais qui nous triture secrètement. Sans savoir pourquoi…

Titre original : Primer

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Durée : 77 mn


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