Nous ne vieillirons pas ensemble

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Jamais sans toi, jamais avec toi…

Il aura fallu près de trois ans à Maurice Pialat pour signer ce second film après L’Enfance nue (1969), pour lequel il reçut pourtant le prix Jean-Vigo. Il réalisera néanmoins entretemps la série La Maison des bois (1971) pour l’ORTF. Pialat devra son salut à l’ambition de Jean-Pierre Rassam, beau-frère de Claude Berri et aspirant producteur. Ce dernier pense pouvoir produire une œuvre majeure en mettant dans les meilleures conditions un cinéaste de talent et jette donc son dévolu sur Maurice Pialat, qu’il rencontra via Claude Berri – Pialat fut le compagnon de la sœur de ce dernier, Arlette Langmann. Rassam offrira à Pialat un budget conséquent et un casting de vedettes avec Jean Yanne et Marlène Jobert, pris dans une tumultueuse romance adaptée du roman autobiographique et éponyme de Pialat, qui narre la fin douloureuse d’un amour vécu entre 1960 et 1966 avec une certaine Colette. Nous ne vieillirons pas ensemble nous dépeint donc un amour destructeur qui se délite au bout de six ans. Dans un premier temps, nous découvrons la manière dont les humeurs changeantes de Jean (Jean Yanne) mettent à rude épreuve la sensibilité de sa compagne Catherine (Marlène Jobert). Leur longue histoire repose sur un équilibre fragile puisqu’ils forment un couple illégitime (Jean étant resté marié), même si c’est bien le caractère irascible et brutal de Jean qui est cause de cette instabilité. La carrure imposante et le ton bourru de Jean Yanne s’imposent ainsi à la frêle Marlène Jobert au travers de diverses scènes à la violence physique (l’altercation dans le marché), verbale (l’incroyable et dépréciative séquence dans la voiture) et psychologique où elle sera toujours plus bousculée et humiliée. En dépit de ce rapport conflictuel, ces deux-là semblent pourtant incapables de se séparer : Jean repoussera et quittera Catherine pour toujours mieux la rattraper tandis que celle-ci ne s’éloignera jamais suffisamment, comme pour mieux l’attendre quand viendra l’heure du repentir.

 

L’ensemble du film reproduit ce schéma, dans des proportions toujours plus douloureuses qui finiront par signer l’éloignement définitif du couple. Violemment chassée de la chambre d’hôtel qu’ils occupaient en Camargue, Catherine attend donc son homme en faisant mine d’avoir raté son train tandis qu’il revient la chercher sans un mot d’excuse. Jean Yanne, qui obtiendra le prix d’interprétation masculine à Cannes en 1972, est extraordinaire dans l’expression de la goujaterie et du caractère infantile de ce personnage (véritable double filmique de Pialat qui ne se ménage pas dans ce portrait) tout à la fois maladroit, penaud et pathétique quand il cherche à se faire pardonner de sa brutalité initiale. Selon une trajectoire inversée, Marlène Jobert passe elle de la soumission muette à la rancœur tenace mais ne sait jamais faire autrement que de poursuivre cette romance sans issue. L’actrice est tout aussi intense dans ce mélange d’amour éperdu et d’admiration qui lui fait tout supporter (l’intensité de son regard alors qu’elle est écrasée par le mépris verbal de Jean dans la scène de la voiture) que dans l’indifférence froide qu’elle éprouve envers cet homme qu’elle ne peut totalement oublier durant la seconde partie du film. La précarité de leur relation repose sur les environnements où évolue le couple, qui n’est jamais inscrit dans un réel quotidien, Jean et Catherine vadrouillant toujours en voiture et ne s’arrêtant que dans les moments creux du week-end, dans des espaces vacanciers éphémères (plage, maison de campagne, chambre d’hôtel). Dès lors, cette instabilité s’inscrit dans cette alternance de rares moments de bonheur apaisé et de terribles explosions de violence, une amorce d’intention bienveillante basculant aussitôt dans la crudité inattendue (Jean venu rejoindre Catherine à la campagne et ayant un geste scandaleux pour vérifier qu’elle ne l’a pas trompé).

 

 

Le cycle rupture/réconciliation semble de plus en plus fragile et est traduit par la mise en scène immersive de Pialat. Au départ, les échanges les plus brutaux comme les plus doux sont filmés sur le vif, souvent en plan-séquence, tandis qu’au fur et à mesure de sa séparation effective, le couple apparaît séparé à l’image. L’agression verbale dans la voiture cadre Jean et Catherine au sein d’un même plan mais quand plus tard Catherine lui rendra la pareille, Pialat les filmera en champ/contrechamp, comme pour mieux signifier le fossé qui les sépare désormais. Autre idée subtile, la composition de plan lorsque Catherine semble définitivement quitter Jean : par deux fois, Pialat cadre Jean dans la voiture tandis que l’on distingue la silhouette de Catherine s’en éloignant lentement, regardant derrière elle, attendant et espérant profondément que son amant sortira du véhicule pour venir la chercher – ce qui arrivera dans les deux scènes. Le schéma est inversé lors de leur dernière entrevue, où l’on ne distingue plus les visages des amants : Pialat cadre l’intérieur de la voiture depuis l’arrière, on aperçoit la silhouette de Jean tandis qu’à l’extérieur, Catherine s’éloigne d’un pas rapide, lâchant très furtivement un regard. Elle n’attend désormais plus rien de cet homme qui l’a tant déçue et a décidé d’avancer seule. Son émancipation, sentimentale mais aussi intellectuelle comme le montre en filigrane l’évolution de ses lectures, est merveilleuse signifiée par le dernier plan du film, où on la voit nager, radieuse. Jamais sans toi, jamais avec toi, voilà qui résumerait bien ce grand film qui sera le premier succès public de Maurice Pialat.

Titre original : Nous ne vieillirons pas ensemble

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Durée : 110 mn


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