Nome

Article écrit par

Crépuscule en Guinée-Bissau

Désirs et frustrations

En Guinée-Bissau, en pleine révolte contre la dictature coloniale de Salazar, Nome et sa compagne partent de leur village à cause du crime qu’ils y ont commis : être tombés amoureux. Lui part dans le maquis tandis qu’elle part, enceinte, sur les routes accompagnée d’un vendeur à la sauvette. L’un et l’autre sont suivis par un esprit ancestral mystique qui leur souffle quelques sages conseils en cours de route. Ce faisant, le choix de Sana Na N’Hada de focaliser son récit sur le parcours parallèle de ces deux héros lui permet d’étudier les diverses formes qu’a prise la résistance face aux colons portugais. Les deux personnages principaux incarnent ainsi, au travers de leur parcours, les différents désirs de liberté et d’émancipation de la jeunesse de l’époque. Et l’une des plus belles subtilités scénaristiques de Nome consiste en ce que ce besoin d’émancipation ne réside pas uniquement en celui de se libérer des colons, mais aussi en celui de s’affranchir de toute une part des coutumes locales qui les emprisonnent dans des rôles précis, notamment les femmes. L’autre subtilité scénaristique majeure consiste à adopter un point de vue dénué de tout romantisme en ce qui concerne la lutte révolutionnaire. Ainsi, la misère du village des protagonistes, comme les promesses irréalisables de l’idéologie révolutionnaire marxiste, de même que la violence de la guerre, parachève de générer un ensemble de frustrations et de haines qui transforme en profondeur chaque individu, des personnages secondaires jusqu’aux principaux.

 

Violences guerrières et violences plastiques

Ces personnages ne sont donc pas voués à demeurer des gens bien au cours de l’intrigue, et ce malgré le fait que Nome et sa compagne ont tout pour être des archétypes héroïques. Ce faisant, l’auteur, par cette approche réaliste et presque ethnographique, en restant toujours à échelle humaine, parvient à faire le bilan de la révolution de la Guinée-Bissau et à expliquer l’origine des dérives qui ont, par la suite, déchiré le pays. Et toute la brutalité de la guerre, son impact sur la psyché humaine, est rendue particulièrement prégnante grâce à la structure même de l’œuvre. L’usage d’une ellipse de six ans, qui sépare le film en deux parties, la première étant le début de la lute et la seconde l’après-lutte, permet de directement téléporter le spectateur au côté de personnages ayant fortement muté suite à tous les événements de la guerre. Les conséquences de ce conflit percutent ainsi avec d’autant plus de force le spectateur du fait que les personnages qu’il a appris à connaître ont radicalement évolué en l’espace d’un changement de plan. De plus, en situant majoritairement cette guerre et sa durée dans le hors-champ, l’auteur rend cette dernière d’autant plus puissante et inarrêtable. Ce qui constitue une belle représentation plastique, organique, de la rupture qu’a représentée cette lutte d’indépendance dans les esprits.

La perte spirituelle

Toute la force de l’interprétation des acteurs principaux, Marcelino António Ingira et Binete Undonque, réside ainsi dans le fait qu’ils parviennent à jouer pratiquement deux personnages chacun, entre les parties une et deux, tout en conservant des rémanences de leur caractère passé. Ce faisant, et au même titre que l’ellipse, ils contribuent à la mise en évidence des violentes mutations issues de la révolution et des changements sociaux culturels qui l’ont accompagnée. Témoin de cette évolution, la manifestation de l’esprit représenté à l’écran au moyen d’une transparence, voit sa présence diminuer à mesure que le récit progresse, que Nome et sa compagne s’enfoncent dans la guerre et que la rupture avec les anciennes traditions est consommée. Cet aspect de l’œuvre, qui traite d’un mysticisme ancestral bénéfique allant en s’effaçant avec l’arrivée de la modernité, est accentué par le travail de la lumière. Tous les effets de l’éclairage et des couleurs comportent ainsi des tons à la fois crépusculaires et chauds. Cette combinaison d’une lumière semblant faible avec des tons de couleurs chaudes et puissantes permet d’associer douceur et violence, vie et mort, au sein d’un même plan. Cela esthétise particulièrement les décors de forêt qui, avec des cadres somptueusement travaillés, prennent l’allure de fragiles tableaux vivants dans la première partie. Cet équilibre dure jusqu’à l’ellipse qui précipite les protagonistes dans un milieu urbain en seconde partie. Un milieu bouillant, souvent clos et oppressant. Soit une rupture permettant d’accentuer encore la violence de la tragédie vécue par les personnages.

Lyrique, documentaire et autobiographique

La poésie de l’œuvre est enfin parachevée d’une part, par sa bande sonore classique et efficace, et d’autre part avec le recours d’images d’archives agissant comme une ponctuation en venant s’insérer entre les diverses séquences. Des images tournées par l’auteur lui-même à l’époque de ses 18 ans, pendant la guerre d’indépendance, et dont la beauté tient à la fois à leur valeur documentaire et à l’écho qu’elles trouvent avec lhistoire contée. En ayant ainsi une dimension intime et autobiographique, le comportement des personnages de fiction gagne en crédibilité, et tout ce qui a été perdu, la culture comme les idéaux, en devient d’autant plus tangible. Garni de personnages riches et complexes, pourvus d’un rythme plutôt lent et hypnotique qui le fait osciller entre le conte et la tragédie, Nome est un authentique chef-d’œuvre, proche des films de Sembene Ousmane ou des cinéastes africains du direct après indépendance. Le film à l’intelligence de se concentrer uniquement sur les Guinéens, sur leurs désirs, leurs frustrations, leurs espoirs et leurs rêves, comme sur leurs failles et leurs faiblesses. En une phrase : il a l’intelligence de faire preuve d’humanisme et d’être toujours à la recherche du vrai, aussi dur soit-il, sans jamais tomber dans le misérabilisme ou le romantisme naïf. En un mot : il est juste.

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 112 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi