Nitram

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C’est l’histoire du fou vivant chez les fous…

Certains personnages…

Dans un hôpital, un enfant explique à des journalistes venues interviewer des blessés, qu’il s’est brûlé avec des allumettes et qu’on ne l’y reprendra plus…L’image d’un autre jeune garçon apparaît alors, expliquant s’être blessé en jouant avec des pétards et que, lui, a l’intention de continuer. C’est ainsi que Justin Kurzel introduit son personnage principal : Nitram. De son véritable nom, Martin Bryant, un assassin qui, en 1996, a perpétré l’une des tueries de masse les plus meurtrières d’Australie, en exécutant trente-cinq personnes et en en blessant des dizaines d’autres à Port Arthur, Tasmanie. C’est au point de vue de ce personnage que l’auteur choisit donc de nous astreindre, quelque temps avant son passage à l’acte (plusieurs années après les images introduisant le film) alors qu’il vit toujours chez ses parents et qu’il fait la rencontre d’Helen, une femme aisée et marginale, souffrant tout autant que lui de la solitude. Parce qu’il ne cherche jamais à montrer ouvertement, ni explicitement, les pulsions meurtrières travaillant Nitram, le réalisateur parvient à retransmettre le mystère planant autour de la personnalité du meurtrier. Meurtrier énigmatique que l’on observe ainsi glisser, petit à petit, dans la volonté de passage à l’acte, sans pour autant pouvoir clairement identifier le moment où il prend la décision de tuer. Ce point de vue opaque, à la fois rapproché et extérieur au personnage, génère à lui seul un malaise constant, ainsi qu’une efficace montée en tension au cours du récit. Dans un même temps, l’explication de l’origine de l’étrangeté de Nitram, comme celle de ses parents ou d’Hélène, est intelligemment laissée de côté au profit de divers indices distillés çà et là, au cours de leurs conversations. Car c’est l’étude psychologique de toute cette galerie de personnages ambigus qui intéresse Justin Kurzel : de la mère autoritaire et méchante, au père faible et dépressif, jusqu’à la cossue Helen, grande solitaire bardée de chiens remplaçant les êtres humains dans sa vie. Chaque acteur offrant une prestation de jeu de qualité consistant à ne jamais exprimer clairement l’origine de leurs problèmes, contribuant chacun à la matérialisation d’une atmosphère empoisonnée, morbide et pathogène. Le meilleur d’entre eux demeurant Caleb Landry Jones, qui mérite amplement son prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2021. Ce dernier, tout en donnant vie au mal-être de son antihéros grâce à son aspect physique maladif, comme par certains de ses comportements enfantins, parvient à faire naître, au travers de sa relation avec Hélène, des sentiments normaux. Sentiments dans lesquels tout un chacun peut se reconnaître, ce qui a pour conséquence de permettre aux spectateurs de s’identifier, un peu, à Nitram, et de ne jamais être dans une position de domination à son égard. Et qui permet, aussi, à Justin Kurzel d’éviter de réduire son personnage à une fonction d’outil bassement utilitaire au service de la cause anti-armes.

        

…pour une certaine atmosphère.

D’un point de vue esthétique Justin Kurzel ne se contente pas de plans rapprochés sur ses personnages et choisit de les inscrire régulièrement dans de vastes espaces dépeuplés. Des espaces frappés par un soleil estival où les relations entre les individus sont souvent réduites à des rapports de force. Ce qui renforce, dans un même mouvement, l’isolement, la solitude et la misère émotionnel des protagonistes, Nitram en tête de liste. Cette atmosphère suintant le désespoir semble dès lors incontournable, car émanant de certains traits de la société australienne, ce qui à pour conséquence de la rendre tout autant responsable de la tragédie que ne l’est Nitram. Le paroxysme des errements de cette société étant atteint au travers de la facilité glaçante (et alors authentique) avec laquelle elle permet à sa population de se procurer des armes à feu. Ce qui a ainsi pour conséquence de rendre logique le basculement de Nitram dans le meurtre et de donner à ses actes des aires d’autant plus tragiques qu’ils semblaient évitables. Évitables, pour peu que quelqu’un ait pris le soin de se soucier de lui et de ne pas lui vendre d’armes comme on vendrait des confiseries…C’est donc d’abord en priorité l’ambiance dans laquelle baigne le tueur, ainsi que le mouvement inéluctable ayant mené au drame, que cherche à décrire Justin Kurzel au travers de ses cadres. Et parce qu’il choisit ces axes scénaristiques et esthétiques pour approcher son sujet, le réalisateur évite de montrer la tuerie à proprement parler, plaçant les deux seules exécutions présentes dans son intrigue (les premières victimes de Nitram : un couple de retraités) hors champ. La première des violences représentées demeurant ainsi la violence sociale, ce qui garde l’auteur, du même coup, de tomber dans tout voyeurisme malsain et lui permets de respecter les véritables victimes de Martin Bryant. Nitram évoque forcément Elephant de Gus Van Sant, film de référence pour ce type de sujet, tout en parvenant à s’en distinguer et à vivre par lui-même. Formellement parlant, l’œuvre est classique, le montage se fait plutôt discret et sert efficacement la progression du récit. Peu de musiques sont jouées, le plus souvent intradiégétiques elles sont travaillées, comme la bande sonore, pour un maximum d’efficacité narrative. Le sujet est, bien entendu, très actuel, et ne cesse de faire écho aux divers événements contemporain du même genre. Nitram se place, à la manière de l’excellent Bruno Reidal de Vincent Le Port, dans la lignée de ces œuvres révélant, au travers de personnages hors norme, toute l’hypocrisie et les violentes contradictions des sociétés modernes.
     

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Durée : 1h 50mn mn


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