Pour tisser sa toile, le réalisateur ne se refuse aucun des motifs de cette culture cinéphilique qui plaît à tout le monde : la musique est conventionnelle, les acteurs efficaces et parfois brillants mais presque ordinaires. De fait, Nebraska s’apparente de prime abord à un film se refusant avec force aux aspérités, une œuvre à oscar comme beaucoup d’autres. Pourtant, quelque chose d’indéfinissable se glisse lentement entre les plans au fil de la traversée. Ce n’est pas tant les inserts de paysages fantomatiques et de villes sinistrées, superbement photographiés, qui font sortir l’ensemble de l’anonymat. Non, c’est plutôt ces moments anodins du quotidien où des proches se retrouvent ensemble sans parvenir à tromper les apparences de leur morne existence, qui font sens. Ces instants où les mots ne sont plus que des logorrhées indistinctes, et où seul le silence et la communication non verbale révèlent la vraie couleur du réel. Point de couleur véritable, d’ailleurs, dans Nebraska : Payne a choisi le noir et blanc, vecteur intemporel qui dans le cas présent renvoie directement au Nouvel Hollywood. Certainement pas par opportunisme mais sans doute par besoin de s’intégrer à une généalogie, de raviver les idéaux d’antan des Bogdanovich, Coppola et Scorsese. Avec une idée de la radicalité toutefois plus proche de celle d’un Spielberg.
Avec le recul, le scénario de Nebraska, par son aridité et ses dialogues minimalistes, mais aussi par son inertie – les personnages, malgré leurs déplacements, semblent sédentaires -, n’aurait probablement pas été renié par un Jim Jarmusch. Mais sous la caméra d’Alexander Payne, celui-ci en ressort animé d’un souffle de vie inattendu. Et derrière le tableau sombre dressé de l’Amérique post crise financière, derrière le fatalisme d’une existence vidée de toute perspective d’accomplissement, le réalisateur ne trace pas un portrait si désabusé du genre humain. Son arme : le rire, porté à son point d’incandescence par la mère de Kate (excellente June Squibb), hilarante vieille vacharde au cœur tendre désamorçant par son intempérance les inhibitions.