Monsieur

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Dans une société indienne où le déterminisme social est toujours aussi présent, une histoire d’amour pas si impossible.

Comme pour beaucoup de ses semblables, Ratna est obligée de quitter son village natal pour gagner sa vie. A Bombay, elle occupe un poste de servante pour un beau et riche célibataire, Ashwin. Même s’ils se côtoient au quotidien, les règles sociales constituent une barrière apparemment infranchissable. Jusqu’au jour où… Le thème n’est évidemment pas nouveau mais sa contemporanéité mérite qu’on s’y attarde, dans une société indienne qui aime exposer et multiplier les signes matériels ostentatoires de la modernité sans rompre avec un certain passé. De nombreux écueils menacent un tel sujet, pour peu qu’on se laisse guider par de simples bonnes intentions. Pour son premier long-métrage, Rohena Gera fait bien plus que les éviter grâce à une sensibilité d’une grande justesse.

 

 

Servir et grandir

Dans les demeures des nouveaux riches capitalistes, l’organisation des tâches et des espaces pour un serviteur reposent sur la même logique séculaire : être présent en permanence pour répondre aux besoins instantanés du maître, tout en rendant sa présence quasiment invisible. Les grands appartements ayant pris la place des immenses villas traditionnelles, la séparation entre les deux castes sociales est plus difficile à marquer dans les espaces disponibles. Rohena Gera fait de cette dimension spatiale un enjeu important de sa mise en scène. Des différences de lumières, ainsi que la présence d’objets présentés comme des obstacles dessinent virtuellement cette frontière. A multiples reprises, parfois soulignées par un trait d’humour, face à la volonté de sortir du champ pour marquer son respect, Ratna est contredite par les injonctions de son maître. Après un bref relâchement ou un bel élan de passion qui rapprochera les corps, la distance est vite restaurée par la servante. Rien ne change pour Ratna qui continuera à manger à même le sol de la cuisine, comme les autres serviteurs qui accompagnent les amis de Ashwin.

Femme de devoir, elle envoie une partie de son salaire à sa famille, et de principes, le respect des codes sociaux ne la quittent jamais, Ratna n’en est pas moins ambitieuse. Ce poste ne doit être qu’une étape qui doit lui permettre de financer des études de haute-couture. Sensible mais réaliste, elle symbolise toute la complexité du chemin qui attend les femmes indiennes de nos jours. Tillotama Shome  incarne avec retenue énergie et nuances ce « petit bout de femme » si attachant.

 

 

Lumières d’espoir

Le moyen le plus efficace pour empêcher l’émancipation d’une femme, c’est de limiter et contrôler son périmètre de déplacement. Assigner à résidence, Ratna ne peut pas sortir prendre des cours de couture sans demander la permission à son maître. Une fois chez le tailleur, c’est ce dernier qui prend le relais pour lui donner des ordres sans aucune forme de considération. Dans les rues de Bombay, Ratna n’est qu’une silhouette qui pare au plus pressé, de peur d’être blâmée pour un petit retard. Il faut attendre le soir, pour pouvoir enfin disposer d’un espace à soi. Sur la terrasse de l’immeuble, en plan large, les lumières de la ville scintillent à l’horizon, comme autant de promesses pour de lendemains heureux.

Bien sur, il ne s’agit pas ici d’une œuvre made in Bollywood. Mais, on y retrouve, toutes proportions gardées, des touches d’espoir gaies et colorées. Les serviteurs acceptent avec philosophie et humour le sort qui leur est réservé. Un moment de liberté commune, un peu de musique, une danse s’improvise au pied de l’immeuble. Une photographie soignée et chaleureuse met discrètement en valeur le charisme des comédiens principaux. Même si la réussite est loin d’être acquise, une porte s’ouvre pour l’ascension sociale de Ratna. La romance n’est peut être plus une utopie. Mais la course d’obstacles reste encore très longue.

Lire également l’interview de Rohena Gera.

Titre original : Sir

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Durée : 98 mn


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