Michael Clayton

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Tony Gilroy commence par brouiller les pistes, flouter les esprits. Sporadiquement, dans les cinq premières minutes, il délivre quelques temps forts du film, sans explication aucune. Une voix emballée s’emporte sur un répondeur, baignant d’une ambiance glauque les couloirs vides d’un bâtiment, images d’ouverture du film. Puis au fin fond d’un sous-sol hasardeux, au beau […]

Tony Gilroy commence par brouiller les pistes, flouter les esprits. Sporadiquement, dans les cinq premières minutes, il délivre quelques temps forts du film, sans explication aucune. Une voix emballée s’emporte sur un répondeur, baignant d’une ambiance glauque les couloirs vides d’un bâtiment, images d’ouverture du film. Puis au fin fond d’un sous-sol hasardeux, au beau milieu de ses problèmes, apparaît enfin Michael Clayton (George Clooney), dont le long-métrage éponyme s’annonce aussi sombre que le regard qu’il semble porter autour de lui.

Michael Clayton est ce qu’on appelle un « fixer ». Conseiller spécial d’une grande firme d’avocats, il arrange, répare les affaires dans l’ombre des grands noms, tel un homme de ménage secret. Pris pour un avocat par la police et pour un policier par les avocats, Michael Clayton mène sa vie dans un constant « entre deux ». Quarante-cinq ans, divorcé, un enfant, une passion du jeu et des dettes jusqu’au front, cet anti-héros passe son temps à défendre, presque clandestinement, l’indéfendable. Or le jour où l’un de ses amis et collègues, dans une prise de conscience inespérée, décide avec un peu trop d’enthousiasme de se retourner contre son client de six ans pour défendre la partie adverse, Clayton est envoyé pour régler l’affaire. Mais voilà, il s’avère que son illuminé de collègue ne l’est pas totalement et que le gros client est bien coupable de commercialiser un désherbant toxique et mortel.

Commence alors une véritable course à la vérité. En bon Erin Brockovich masculin (de Steven Soderbergh, producteur de Michael Clayton… no comment), Michael Clayton s’embourbe seul dans une fourmilière solidement organisée, celle du système judiciaire et de l’argent. Et très vite, on s’aperçoit que le film est moins un thriller vraiment haletant qu’une réelle interrogation de l’individu face à une organisation du monde qui le transcende. Le spectateur s’enfonce dans l’univers sombre et froid des buildings new-yorkais où la caméra le guide et l’égare régulièrement. Tony Gilroy filme des « à travers », un pare-brise, une fenêtre… comme pour souligner la frontière entre l’individu et l’extérieur. Le libre arbitre peut-il vraiment exister au sein de la société ? Quel est le pouvoir d’un pion dans un immense jeu d’échec ?

Le film incarne en quelque sorte les Etats-Unis. Totalement désillusionnés, les personnages seuls, épuisés et en pleine crise, ont le choix de renverser la vapeur ou de continuer à se fondre dans une masse malade. C’est en quête de rédemption que Michael Clayton poursuit l’œuvre inattendue de son ami Arthur Edens (Tom Wilkinson). Tandis que Karen Crowder, avocate plaidante à U-North, la firme mise en accusation, se débat avec une énergie obsessionnelle pour enterrer cette affaire, décisive pour sa carrière. Outre un certain manichéisme de l’histoire, Tony Gilroy réussit à rendre le personnage de Karen Crowder humain. Elle apparaît finalement comme nous tous, précipitée à l’intérieur du troupeau, la tête immergée dans une réalité méprisable mais tellement courante… Le plan final du film, fort de sens, s’inscrit d’ailleurs dans cette réflexion. L’escalator sur lequel Michael Clayton sort du champ se retrouve à l’horizontal, filmé en plongée. Les deux rubans mécaniques se déroulent l’un à côté de l’autre comme pour murmurer au spectateur que chacun choisit la direction qu’il veut donner à sa vie et qu’il est toujours possible de prendre un nouveau départ.

Si ce dernier plan fait largement écho à la « morale » de l’histoire (et oui il y en a toujours une !), il s’insère aussi dans la discrète mise en abîme du film. Effectivement, cet escalator filmé à l’horizontale apparaît à l’écran comme une pellicule que Tony Gilroy déroulerait à sa guise, peut-être en hommage au cinéma policier des années 70. Et pour cause, l’un des maîtres du genre, Sydney Pollack donne ici la réplique à George Clooney en tant que… son patron (Marty Bach)! Les allers-retours entre fiction et réalité ne s’arrêtent pas là. L’énigme du film est résolue grâce à un roman épique que Michael Clayton s’est vu suggérer par son jeune fils. La fiction finit par supporter le réel, tout comme ce film supporte le cinéma américain ?

Tony Gilroy signe donc avec Michael Clayton un premier film prometteur et plutôt ambitieux. Les acteurs sont irréprochables dans leurs rôles d’humains fragilisés par l’époque qui est la nôtre. Le suspense proposé n’est pas celui auquel on s’attend en entrant, le rythme s’accordant des pauses trop longues, mais bien celui avec lequel on repart, un brin troublé.

Titre original : Michael Clayton

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Durée : 120 mn


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