Martyrs, le bien-nommé : le dénouement ?

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Le 29 mai 2008, la Commission de classification des oeuvres cinématographiques (ex Commission de contrôle des films) a recommandé l´interdiction aux mineurs de 18 ans de Martyrs, film de Pascal Laugier, et oeuvre au nom prédestiné et annonciateur de Dame Anastasie.

Le ministre de la Culture – présentement Christine Albanel (les ministres passent, les films restent) – suivant généralement les avis consultatifs de la Commission (ou passant outre ses avis positifs), l’interdiction parait inévitable et la sortie du film, programmée pour le 18 juin, semble compromise. Les années 2000 marqueraient-elles le retour de la censure, avec une nouvelle interdiction aux mineurs de 18 ans succédant aux classifications X pornographiques et violents ? Que l’on réfléchisse un tant soit peu : en 8 ans, un film a été censuré en moyenne chaque année !

C’est depuis Baise-moi, film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi sorti en 2000 et interdit aux moins de 16 ans, puis ixifié, puis interdit aux mineurs de 18 ans – pour suivre l’affaire, nous renvoyons à l’article : Baise-moi (avec Gérard Camy) in G. Camy (s/d) 50 films qui ont fait scandale, CinémAction n° 103, 2002 – que le gouvernement a instauré en 2001 un degré supplémentaire d’interdiction : l’interdiction aux mineurs de 18 ans en dehors du classement X déjà existant.

Cette nouvelle restriction – en réalité, l’interdiction aux mineurs de 18 ans fut rétablie puisqu’elle avait été supprimée en 1990 – devient l’exception de plus en plus courante et, de fait, un nouvel interdit à part entière.

Sont ainsi interdits aux moins de 18 ans : Polissons et galipettes de Michel Reilhac en 2002, reprise de 12 petits films pornographiques du siècle dernier tournés entre 1905 et 1935 ; Ken Park de Larry Clark et Edward Lachman en 2003, interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en octobre 2004 puis interdit aux moins de 18 ans par un arrêt du Conseil d’Etat ; 9 Songs de Michael Winterbottom en 2005 au vu de « très nombreuses scènes de sexe non simulées (pénétration, éjaculation, fellation…) qui constituent l’essentiel du film, qui narrent les relations sexuelles d’un couple de jeunes adultes et qui sont associées, pour deux d’entre elles, à des prises de drogue » ; Saw 3 de Darren Lynn Bousman en 2006, comme « la très grande violence du film, qui enchaîne sans répit des scènes de tortures morales et physiques appuyées, gratuites, sadiques et pour certaines insoutenables, donne le sentiment qu’un palier est franchi dans ce qui est montré dans un film appartenant à cette catégorie cinématographique » ; Destricted, collectif de sept courts-métrages en avril 2007 « qui présente le regard de différents auteurs sur le sexe et la pornographie ».

Plus récemment, en octobre 2007, la même Christine Albanel, déjà ministre de la Culture et de la Communication, avait suivi l’avis de la Commission et interdit aux mineurs de 18 ans Quand l’embryon part braconner, film de Koji Wakamatsu de 1966, au motif que l’oeuvre enchaînait des scènes de grande violence, de torture et de sadisme et présentait l’image des relations entre les êtres et entre les sexes fondée sur l’enfermement, l’humiliation et la domination de la femme.
Ce film est actuellement en Conseil d’État et l’arrêt du juge suprême est impatiemment attendu.

L’enjeu est d’importance car tout film interdit aux mineurs de 18 ans se voit désormais refuser non seulement par les grands circuits de distribution, mais aussi par le petit écran, qui pourrait offrir une seconde chance de diffusion. A cette double censure économique, s’ajoute une nouvelle auto-censure : les producteurs vont désormais refuser de financer tout film dont le scénario pourrait suggérer une interdiction aux mineurs de 18 ans.

Le 11 mai 2008, Madame Albanel, réservant sa réponse, demande à la Commission une nouvelle délibération sur Martyrs. Trois solutions s’imposent : 1) la Commission confirme sa décision d’interdiction et la Ministre suit son avis et interdit le film ; 2) la Commission infirme sa décision d’interdiction – mais pourquoi changerait-elle d’avis ? – et la Ministre suit son avis en "libérant" le film ; 3) la Commission confirme sa décision d’interdiction et la Ministre passe outre – ce qui étonnerait – et autorise le film.

En fait, on peut craindre que la Ministre, ne voulant se compromettre et semblant oublier que la Commission propose et que le ministre chargé du Cinéma dispose – demande à la Commission de confirmer derechef son interdiction pour, à son tour, interdire le film. En l’état, une simple interdiction aux mineurs de 16 ans serait un heureux dénouement.

Le mardi 1 er juillet, la commission de classification des oeuvres cinématographiques, présidée par Sylvie Hubac, a procédé en séance plénière à un deuxième visionnage du film et, à l’issue de sa délibération, a renoncé à interdire le film aux mineurs de 18 ans, pour proposer une simple mesure d’interdiction aux mineurs de 16 ans avec avertissement.

Il ne manquait que la décision du ministre chargé du cinéma pour entériner la bonne nouvelle. Dès le lendemain, le mercredi 2 juillet 2008, Christine Albanel a décidé de suivre cet avis, et a délivré un visa assorti d’une interdiction aux mineurs de 16 ans avec avertissement.

En conclusion, tout est bien qui finit bien pour Martyrs, et nul doute que, jouissant d’une pub inespérée, le film ne fasse un tabac et n’enflamme les spectateurs qui pourront enfin juger le film de leur propre arbitre.

Nonobstant, il ne faut pas pas oublier le sort du film japonais Quand l’embryon part braconner  de Koji Wakamatsu, toujours Interdit aux mineurs de 18 ans depuis octobre dernier, quarante ans après sa sortie au Japon ! Ce film de cinémathèque n’a pas bénéficié comme Martyrs d’un réexamen par la Commission de classification ,et se trouve en Conseil d’État.

Titre original : Martyrs

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Durée : 120 mn


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