Marie-Octobre (Julien Duvivier, 1958)

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Neuf hommes en colère.

Chez Marie-Octobre, on lave le linge sale en famille. Quinze ans après la Libération, Marie-Hélène Dumoulin, dite « Marie-Octobre », réunit chez elle les anciens membres de son réseau de résistance Vaillance. Là même où, en 1943, la bande fut dissoute après une descente de la Gestapo, neuf hommes sont conviés à se replonger dans leur passé alors que Marie-Octobre leur apprend que le réseau fut dénoncé par l’un de ses propres membres. Neuf hommes, donc. Huit innocents pour un coupable, un traître qu’il s’agit maintenant de confondre. C’est autour de ce point de départ que Julien Duvivier tisse son huis clos et si le film s’ouvre sur une scène de repas, ces hommes ne quitteront leurs commensaux qu’une fois que l’un d’eux se sera mis à table. Si bien souvent chez le cinéaste la tragédie vient faucher l’insouciance liminaire sans crier gare, elle est ici inscrite dans l’ADN même du film comme seule certitude funèbre : sitôt découvert, le coupable sera liquidé.

Le film colle alors au rythme de cette soirée et c’est pour ainsi dire en temps réel que nous partageons leur soirée, passant 1h30 au cœur de cette riche demeure comme le temps nécessaire à appréhender un passé vaporeux. Dans un tel contexte, chacun tâche tant bien que mal de se remémorer sa vie quinze ans plus tôt, essayant d’en déceler ce qui les innocente tout autant que ce qui pourrait en incriminer un autre. C’est précisément sur ce décalage temporel que Duvivier joue tout au long du film, la mémoire forcément défaillante des évènements devenant le point de bascule de toute situation. Tour à tour, chacun peut se trouver soupçonné, les accusations d’alors incarnant les doutes de l’époque. Si quinze ans après les faits les trajectoires personnelles de ces hommes les ont sans cesse éloigné, l’aveu de Marie-Octobre met en lumière l’existence de fissures bien plus anciennes, esquissant ainsi les traits d’une Résistance bigarrée. Duvivier transpose adroitement, en période de paix, les réminiscences de la paranoïa d’un groupe de résistant pendant l’Occupation.

 

 

De là naît une grande insécurité, pour eux surtout, mais aussi un peu pour nous. Perdu au milieu du groupe, nous écoutons les échanges écrits par Henri Jeanson, appréciant l’habileté d’une parole portée par les différents jeux d’acteurs. Le véritable tour de force du cinéaste est alors de distribuer chacun de ses rôles aux comédiens phares de son époque. Simoneau, Rougier, Bernardi… Très vite, tous ces noms s’effacent et on a peur pour Blier, pour Reggiani, on a des doutes sur Ventura. Devant la profusion de protagonistes, cette bascule s’opère quasi immédiatement et implique d’autant plus le spectateur. Il en découle un suspense efficace, croissant à mesure que l’étau se resserre et qui aboutit sur le climax annoncé.

Marie-Octobre réussit donc grâce à tout ce que la Nouvelle Vague se targuera d’honnir. Que ce soit dans la beauté de ses riches décors de studio, l’écriture classique de ses personnages et surtout une croyance démesurée dans la politique des… acteurs.

Titre original : Marie-Octobre

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Durée : 95 mn


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