Mademoiselle de Joncquières

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La confusion des sentiments

Madame de la Pommeraye (Cécile de France) est une jeune veuve retirée dans son château de province, où le Marquis des Arcis (Edouard Baer) est venu lui faire sa cour. A force de traits d’esprit et de charme, le libertin réussit à faire céder celle qui ne faisait jusqu’ici pas grand cas des mouvements du coeur. Que Paris jase ; elle ne s’en soucie guère puisque leur amour est sincère. Il durera pourtant le temps qu’un arbrisseau met à pousser. Meurtrie par l’inconstance du Marquis, dont elle est toujours éprise, Madame de la Pommeraye décide de s’en venger en choisissant pour arme Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz). Après l’avoir extirpée du tripot où elle se loue et l’avoir déguisée en vierge dévote, elle attise chez le marquis une passion impossible pour la jeune femme.

Dangereuses liaisons

Depuis le temps que les personnages d’Emmanuel Mouret se livrent aux jeux de l’amour et du hasard, rien d’étonnant à ce que le cinéaste s’intéresse pour sa dernière réalisation au film en costumes. Cela commence presque comme Le Temps de l’innocence (Martin Scorsese, 1993), à quelques détails près. Plutôt que d’éclore comme dans le générique du film de Scorsese, les fleurs tombent ; sur un fond rouge là où l’autre était noir. Histoire de passion, de fanaison et d’innocence, ce film est peu tout ça à la fois.

Contrairement à ce que la bande-annonce laisse entendre, le dernier film d’Emmanuel Mouret n’est pas une redite des Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. Si, comme Valmont, des Arcis ne résiste pas à ce qui lui résiste, son libertinage n’est pas – seulement – plaisir de collectionneur mais plutôt espoir chaque fois déçu dans une quête de l’idéal amoureux. Si Mme de la Pommeraye veut, comme Merteuil, venger son sexe, elle cherche surtout à se venger elle-même. Ses sentiments, à mesure de leur intensité envers le marquis, ont cramoisi ses tenues originellement blanches avant de les teinter d’un jaune duplice au moment de leur séparation. Cette femme habituée à mettre en scène sa demeure et celle des autres, est bien décidée à tirer profit d’une société des apparences où l’habit est censé faire le moine. C’est ainsi par un jeu de faux semblants et de renversement des rôles, chers à Marivaux, qu’elle espère triompher. Le vice prendra le masque de la vertu, et réciproquement.

Jeux de dupes

Entre ce qui s’énonce et ce qui se fait, ce que l’on voit et ce qui est, la différence est parfois grande et le film d’Emmanuel Mouret sonde cette contradiction. Ainsi de Mme de Pommeraye qui confesse un faux désamour pour recueillir en retour celui – cette fois véritable – de son amant. La cruauté n’est jamais loin dans ce petit théâtre si raffiné. L’exaltation des sentiments des personnages se cachent dans la tranquillité des appartements privés, dans le calme des jardins aux allées rectilignes, et sous la rigueur des corsets. La rancœur cache un amour encore vivace, et les éclats de rire dissimulent souvent mal une grande douleur. Mais de manière paradoxale, c’est parfois du jeu que surgit une vérité inattendue – et durant la nuit, que la lumière se fait. Mademoiselle de Joncquières, comédienne docile, n’est peut-être pas la dupe que l’on croit et pour avoir été une fille légère n’est pas pour autant dénuée de profondeur.

Pas de morale ou de leçon ici, Emmanuel Mouret ne prend le parti de personne, tant chaque personnage est tour à tour celui qui souffre et celui qui fait souffrir. Entre chassés-croisés et vrais-faux semblants, le film va de légèreté en gravité, toujours servi par des dialogues fins.

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Durée : 109 mn


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