Le Cas Richard Jewell

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Quand Mindhunter vantait les vertus du profilage, Eastwood révèle comment le FBI en use pour fabriquer le suspect idéal.

Que vaut la cuvée Clint Eastwood 2020 ? Son grand retour derrière la caméra l’an dernier dans La Mule avait effacé l’accident industriel du 15h17 pour Paris sans pour autant renouveler considérablement sa filmographie. Le Cas Richard Jewell, quant à lui, cherche encore plus fortement à raccrocher les œuvres antérieures.

Une œuvre certes mineure…

Quiconque connaît de près ou de loin reconnaîtra, à des degrés divers, bien des films du maître dans sa dernière production. La violence de la police fédérale rappellera le bouleversant L’Échange (2008) ; le procès d’un héros national celui de Tom Hanks dans Sully (2016) ; ou encore le désir de notoriété publique d’un agent de sécurité l’ascension fulgurante des Four Seasons dans Jersey Boys (2014). Mais au regard de ces œuvres, Le Cas Richard Jewell manque d’énergie et semble répéter les obsessions d’un cinéaste bientôt nonagénaire.

Aussi mineur soit-il dans son immense filmographie, Le Cas Richard Jewell ne manque toutefois pas d’intérêt et coche sans difficultés les cases du film honnête-mais-sans-plus. À défaut d’être originale, la mise en scène on ne peut plus classique mais parfaitement maîtrisée valorise les moindres faits et gestes, aussi bien héroïques sans le vouloir que maladroits à force de gentillesse, dudit Richard Jewell (Paul Walter Hauser) et de sa mère Bobi (Kathy Bates). La douce et rare musique d’Arturo Sandoval, déjà présent sur La Mule, et la grisaille photographique d’Yves Bélanger, qui dénote d’avec son travail coloré sur le précédent film, visent un minimalisme formel qui laisse libre cours aux performances d’acteurs. Parmi celles-ci, on retiendra surtout les éclats de voix de Sam Rockwell, révélé par son rôle de flic pourri dans Three Billboards, qui sert ici d’avocat de l’infortuné Jewell.

 

 

… mais qui tacle Mindhunter

Les quelques innovations du Cas Richard Jewell résident dans son traitement de l’enquête policière. On savait déjà le peu de bien qu’Eastwood pensait de l’institution fédérale. Mais celle-ci vire encore plus au cauchemar lorsqu’à sa terrible force de frappe s’ajoute désormais celle du « quatrième pouvoir » : les médias. Alors que ceux-ci critiquaient vertement la manipulation policière dont souffrait Christine Collins (Angelina Jolie) dans L’Échange, ils servent ici d’auxiliaire, sinon de bras armé illégal, de la police. La collusion entre presse et police saute aux yeux : dans une caricature sexiste appuyée (à revers des beaux portraits féminins que brosse Clint d’ordinaire), la soit disant journaliste Kathy Scruggs (Olivia Wilde) se contente de vendre son corps à un enquêteur du FBI (Jon Hamm) pour obtenir les informations qu’elle souhaite. Quant à son journal, The Atlanta Journal-Constitution, qu’on qualifierait sans hésiter aujourd’hui de « putaclic », il ne prend même pas la peine de mener une enquête journalistique sérieuse tant l’aveuglent les promesses du scoop et du gain en pleins Jeux Olympiques d’Atlanta.

Beaucoup plus intéressante est la critique que formule Eastwood à l’encontre du profilage des suspects. De ce point de vue, on pourrait considérer Le Cas Richard Jewell comme un anti-Mindhunter. La série de David Fincher revenait en effet sur la mise au point des techniques de profilage, au moyen desquelles, dans le courant des années 70, le FBI parvint à comprendre et, surtout, anticiper les serial killers (terme dont Fincher retrace l’invention). Eastwood révèle le revers de la médaille d’une telle tactique. Le FBI ne se contente plus seulement de simuler des profils de suspect : il invente également les coupables dont il a besoin et qui réjouiront la presse à scandales. Décrit comme un beauf blanc, un redneck pur et dur, le malheureux Richard Jewell se retrouve ainsi rangé en quelques jours parmi les terroristes d’extrême-droite qui ensanglantaient alors les États-Unis des années 90. Le profilage rompt par conséquent avec la méthodologie de l’enquête judiciaire qu’avait mise en place l’Inquisition à la fin du Moyen Âge : sans preuves, on ne peut pas condamner. Or, en jugeant à partir d’un profil en dépit d’une absence évidente de preuves, le FBI et la presse ressuscitent le jugement au faciès, jamais complètement éteint tant on le vit courir sous les divers régimes totalitaires.

On retrouve là le motif eastwoodien par excellence : face aux institutions qui forcent le réel à rentrer dans des catégories prédéfinies et biaisées, seul l’individu a le pouvoir, sinon le devoir, de faire advenir un autre destin, autrement plus souhaitable pour la collectivité.

 

 

Titre original : Richard Jewell

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Durée : 129 mn


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