Malgré sa maîtrise formelle et son ambition dévorante, le premier film de Piero Messina brille surtout par ses carences et artifices.
L’Attente prend racine dans la Sicile du Guépard (Luchino Visconti, 1963), sans pour autant bénéficier du sens de la lumière et du cadrage de Giuseppe Rotunno. Non pas que le premier film de Piero Messina dresse le tableau d’une Italie garibaldienne et d’une aristocratie à bout de souffle : le long métrage se situe de nos jours et se contente du portrait d’une mère endeuillée. Mais celui-ci en reprend dès les premières secondes la mélancolie et la nostalgie proustienne. En lieu et place de la vieille et riche demeure italienne dont les lourds rideaux bruissent au gré du vent, Messina opte pour une maison bourgeoise à quelques pas de l’Etna. Pas de poésie crépusculaire tout de silence ici, mais une rhétorique du vide articulant son développement autour de paysages mentaux. Dispositif où le cadrage et les mouvements de caméra tape-à-l’œil, hérités peut-être de Sorrentino dont Messina fut l’assistant sur This Must Bet The Place (2011) et La Grande Bellezza (2013), renforcent la grandiloquence pompière. La lave séchée des abords de l’Etna trahit ainsi l’image d’une douleur encore vive, de même que ce perpétuel jeu entre ombre et lumière la difficulté de trouver une issue à la torpeur et au mensonge. À première vue, L’Attente – adaptation libre d’une pièce de théâtre – passe pour un drame presque élégant, avec sa maison vide sépulcrale aux faux airs d’église et sa mère inconsolable renvoyant inlassablement à une Pietà.
Mais parce qu’il n’y a rien ou presque à raconter dans ce long métrage, pas d’enjeu ni de véritable idée pour porter la thématique rebattue du deuil et de son corollaire le fantôme, Messina ne dispose que d’un savoir-faire un peu grossier pour imposer sa matrice, qu’il s’agisse de mise en scène des espaces et de gestion métaphorique des sources lumineuses. On est loin des fulgurances baroques intérieur-extérieur qu’introduisait si subtilement La Piel que habito (Pedro Almodovar, 2011). Dès le générique, les badauds de l’aéroport sonnent comme des présences fantomatiques, laissant apparaître des silhouettes abstraites et immobiles ne voyant plus qu’elles-mêmes – possibles préfigurations d’Anna (Juliette Binoche), femme à la fois autocentrée et en dehors d’elle-même. Une seule lueur d’intelligence, ou peut-être n’est-ce là finalement que toute l’ambiguïté du deuil : combler l’absence par un mensonge. En affirmant à Jeanne, l’amie de son fils venue passer quelques jours dans la maison familiale, que son petit ami Gioseppe va bel et bien arriver, Anna façonne chez la jeune femme une attente. Espérance palpable qui redonne à voir par procuration à la mère l’image ardente du défunt. Comme un effet de réel que l’on substituerait soudain à la mort.
Malheureusement, L’Attente ne repose sur aucune fondation fertile, toute l’idée de la mise en scène ne consistant très vite qu’à s’appuyer sur le monstre de cinéma qu’est Binoche. Comme si la béance intersidérale du scénario pouvait s’opacifier sous les gros plans du visage de l’actrice, ou de sa représentation mentale : travellings et autres espaces naturels pour sur-signifier allégoriquement sa peine de mère et sa possible résurrection. L’erreur de Messina est probablement aussi de s’être imaginé que Lou de Laâge (Jeanne) tiendrait la distance face à elle, lumineuse même dans la langueur. Non pas que la jeune actrice dénote complètement, mais sa posture tantôt espiègle mélancolique, tantôt ingénue aguicheuse rappelle les rôles les plus stéréotypés des Léa Seydoux, Marion Cotillard et autres Mélanie Laurent. Pire : une voix off tonitruante – celle de l’amoureuse dans l’expectative laissant des messages sur la boîte vocale du mort – vient inlassablement alourdir l’histoire. Passe-partout scénaristique s’ajoutant au supplice déjà initié par une musique trop présente et artificielle. Hormis une certaine maîtrise formelle indéniable et quelques jolies images esthétisantes plus ou moins stériles, L’Attente ne mérite donc pas tous les éloges entendus à la Mostra de Venise.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…