L’amour fou

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Un des films les plus marquants de la Nouvelle Vague, inoubliable et bouleversant.

Un an après la ressortie en salles de La maman et la putain de Jean Eustache, film jusqu’alors peu visible mais inoubliable, les films de Losange ressortent maintenant cet autre Ovni qui évoque le premier et qui restera aussi comme une oeuvre incontournable de la Nouvelle Vague ainsi que l’avait prophétisé François Truffaut. Film préféré de Bulle Ogier qui y peaufine sans le savoir le rôle qui la révélera définitivement à l’écran quelques années plus tard (La Salamandre, Alain Tanner, 1971), L’amour fou se positionne comme l’un des films les plus radicaux et les plus tragiques de la Nouvelle Vague, ainsi que l’a qualifié Jean Collet par ces quelques mots bien sentis : « C’est un film dont je ne saurais parler qu’avec les mots du cœur. C’est un film qui fait mal. » Véritable tragédie sur la folie et l’impossibilité d’aimer, le scénario du film met fort justement en abyme cette histoire des années 60 avec la tragédie de Jean Racine écrite 250 ans plus tôt, comme pour en démontrer encore toute la force. De plus, se situant dans le monde du théâtre et des comédiens, L’amour fou propose une approche de la folie sous un angle particulièrement poignant à la manière des Idoles de Marc’O (1968) auquel Jacques Rivette a emprunté quelques-uns de ses acteurs comme Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon qui y font merveille. Seul le regretté Pierre Clémenti ne fait pas partie de l’aventure. 

Énième témoin de l’inventivité des années soixante-huitardes, et de leur cinéma d’avant-garde radical et innovateur qui savait encore parler de choses graves sur un air nonchalant et rock and roll, ce film de Jacques Rivette s’inscrit profondément dans l’histoire du cinéma, plus encore maintenant avec le recul. Le scénario est simple mais le film, retrouvé et remonté sous la supervision de Caroline Champetier (AFC) car le négatif avait brûlé en 1973 lors de l’incendie du laboratoire GTC, est un puissant récit qui décortique une relation amoureuse impossible et névrosée. Claire, comédienne, et Sébastien, metteur en scène, vivent ensemble. Claire s’apprête à jouer Hermione dans une mise en scène d’Andromaque de Racine que Sébastien et sa troupe répètent, sous l’œil d’un réalisateur de télévision qui filme leur travail sur une scène présentée comme un ring de boxe entourée de sièges pour les spectateurs. Lors d’une répétition où elle peine à dire son texte, la jeune femme quitte brusquement le théâtre. Sébastien la remplace, au pied levé, par Marta, son ancienne femme. Alors, tandis qu’au théâtre les répétitions avancent, Claire, seule dans son appartement, perd pied peu à peu.

Bien sûr, Jacques Rivette, tout comme Jean Eustache et Marc’O qui étaient très proches, ne se doutaient sans doute pas une seconde que leur conception du cinéma allait le révolutionner au moins pendant deux décennies. Mais il y en a la prescience dans une des réponses accordées par Jacques Rivette à Bernard Cohn dans Positif n°104, avril 1969 (pages 27 à 38) : « Il ne s’agissait pas nous plus de faire de l’anti-psychologisme, parce que ça non plus, ça ne veut rien dire, ça ne correspond à rien, mais plutôt du non-psychologisme, et c’est une idée qui a été encore renforcée quand nous nous sommes mis à travailler Racine en détail avec les acteurs. Il est évident que Racine est radicalement en dehors de l’idée traditionnelle que l’on se fait de la psychologie, c’est tout à fait autre chose : il relève purement du langage, les « passions n’y sont pas à l’œuvre » au sens psychologique bourgeois, mais au sens physique, elles forcent au-delà du conscient, elles mettent en cause les profondeurs de l’être. Tout cela n’a rien à voir avec le jeu psychologique auquel on ramène habituellement Racine dans les analyses littéraires scolaires. » En cette période de rentrée scolaire, il est important de le signaler pour orienter le travail d’analyse des œuvres du patrimoine. 

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Durée : 254 mn


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