L’Affranchie

Article écrit par

Roméo, Juliette et Jéhovah.

Giulia a toujours plus de cinq minutes pour parler de son seigneur Jésus-Christ. Serre-tête et jupe au genou, elle ne craint aucun claquement de porte au nez et continue de tendre de manière imperturbable les prospectus vantant les vertus de la vérité selon les Témoins de Jéhovah. Déjeuners en famille, petit boulot inintéressant dans l’entreprise de papa, réunions dans la Salle du Royaume : les journées se suivent et se ressemblent jusqu’à l’irruption de Libero, fraîchement sorti de prison.
Et surtout « garçon du monde », selon la terminologie des Témoins qui désignent ainsi tous ceux qui ne font pas partie de leur communauté. Leur amour est impossible et c’est peut-être cela même qui poussera Giulia à l’aimer.
 

La foi est triste

Prise entre la constance (Costanza, sa mère) et le ciel (Celestino, son père), il n’est pas étonnant que Giulia soit attirée par la possibilité d’une plus grande liberté (Libero, venu du monde) tellement son monde est uniforme. Qui s’assemble doit se ressembler, telle pourrait être la devise de ce mouvement sectaire à l’extraordinaire potentiel dépressif. Pour être au plus près de la réalité de Giuila et de sa famille, Marco Danieli et son scénariste, Antonio Manca, ont rencontré aussi bien des Témoins de Jéhovah que des bannis de la communauté mais également effectué les repérages dans ces Salles du Royaume où se retrouvent leurs membres pour les prêches. Des réunions qui ont tout du séminaire en entreprise, du lieu impersonnel aux costumes cravates au verbe aussi plat que standardisant. Le fait que leur salle soit située au sous-sol – dans un parking – est révélateur de ces discours moralisants qui font tout pour plaquer les gens à terre et les enfermer dans un destin déjà défini par les « Anciens ». L’individu n’existe qu’en fonction du collectif et toute envie personnelle est vue comme un péché d’orgueil : si Giula, meilleure élève de sa classe, souhaite participer à un concours de mathématiques, de l’avis de ses parents, ce ne peut être que par vanité.

 

Deux dépendances

En contrepoint des nombreux plans serrés ou gros plans, le réalisateur supplée l’absence d’élévation par des travellings et des séquences en caméra portée pour instiller une liberté qui ne demande qu’à se faufiler dans la vie de Giulia. Une liberté qu’elle pense conquérir en partant avec Libero, loin de la cage que lui a fabriquée sa famille. Pourtant, encore une fois, il semblerait que la jeune fille opte pour la voix passive comme si une mise sous tutelle en remplaçait une autre. C’est lui qui choisit la maison, lui qui décide du mode de vie ; dans l’intérêt de Giulia bien entendu, mais rarement en prenant compte de son avis. En s’éloignant le plus possible de tout manichéisme – les Témoins de Jéhovah c’est pas bien et l’amour c’est mieux – Marco Danieli livre un portrait complexe de son héroïne (à noter l’interprétation sans fausse note de Sara Serraioco) à qui l’on demande d’un côté de renoncer au monde extérieur et de l’autre de tirer un trait sur l’univers d’où elle vient. Tous ceux qu’elle croise cherchent à la convaincre du bien-fondé de leurs suggestions sans tenir compte de ses déchirements.

L’Affranchie est l’histoire d’une révolution violente qui se fait quasiment sans bruit, l’histoire d’un passage à l’âge adulte brutal où la liberté se conquiert seul.

Titre original : La Ragazza del Mondo

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Durée : 101 mn


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