La fleur de Buriti

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Une histoire, une lutte

D’une époque à l’autre

Quelque part en Amazonie, une tribu tout entière chante et prie en l’honneur d’une femme donnant naissance à son enfant, un nouvel arrivant gage d’espoir en l’avenir. La fleur de Buriti propose ainsi une plongée au sein de l’état du Tocantin, dans le village de Pédra Branca, lieu de vie de la tribu des Krahôs, des Indiens du Brésil, au cours de trois périodes de leur existence. L’une est située avant leur extermination par les propriétaires terriens et leurs acolytes, des Indiens issus d’une tribu rivale, la seconde quelques décennies plus tard, la dernière se situe à l’époque moderne, bolsonariste. L’une des particularités de cette Fleur de Buriti consiste en ce que l’œuvre adopte une structure éclatée qui mélange chacune de ces trois périodes sans annonces ni didactisme. Ce brassage, dont les époques ressortent en fonction de la situation des protagonistes, notamment vis-à-vis de la présence de leur culture d’origine qui s’efface à mesure que le temps passe et que les massacres se perpétuent, au travers de la présence des technologies et de l’ancrage de moins en moins en osmose avec la nature des descendants, permet à João Salaviza et Renée Nader Messora de rendre sensible à la fois le poids de la perte de cette culture ancestrale et celui des multiples injustices que ce peuple a eu à subir au cours de son histoire. Tout en montrant avec délicatesse ce qui a pu être préservé ou demeure.

Unies par le celluloïd

L’homogénéisation des trois segments temporelle est accentuée par le recours à un format identique pour chacune des périodes, soit une image tournée en pellicule. Un format bienvenu qui, outre sa poétisation naturelle de l’image et des décors, permet de conférer une sensation de fragilité et de vulnérabilité aux séquences filmées, plus encore que si le film avait été tourné en numérique. La sensation est ainsi donnée que ce qui a été vu n’a pu l’être qu’à cet instant précis et ne pourra plus être répété. Cette vulnérabilité de l’image et le caractère éphémère des moments filmé qui en découle résonnent avec la fragilité de la situation des Krahôs au sein de la société brésilienne. Et à cette beauté plastique, s’associe la beauté se trouvant dans chaque visage des personnages, tous incarnés par de véritables autochtones, tous aussi beaux et fascinants, mutiques, calmes et silencieux, tout en étant fortement expressifs, en un mot : tous des êtres mystérieux.

Du documentaire à la fiction

Le caractère immersif de la mise en scène est principalement lié au fait que les auteurs plongent leurs spectateurs sans contextualisation au sein des groupes et des familles Krahôs, tout comme il est lié à l’absence de musique qui laisse le champ libre aux sons d’ambiance du milieu forestier et, surtout, aux paroles des indigènes. Ce caractère immersif renforce ainsi l’aspect documentaire de cette fiction très politique. Elle est une fiction en ce sens qu’elle a recours à divers effets de montage et de trucages cinématographiques, comme la surimpression, la voix-off, le flash-back, le flash-back au sein de flash-back (ce qui offre d’ailleurs une intéressante mise en abîme au sein de l’esprit de l’un des personnages au cours d’un songe). Un ensemble de techniques de narration qui est à l’origine de l’aspect parfois fantastique ou mystique de l’œuvre.

En passant par la politique

Un aspect mystique qui est utile pour narrer certaines séquences dont l’approche nécessitait une grande délicatesse, notamment le massacre entier du village. Soit une scène tournée entièrement en studio et qui semble abstraite comparée aux séquences tournées en décors naturels (ce qui est justifié par le fait que cet événement tragique soit conté par un des descendants des victimes). Le studio et l’abstraction de l’instant sont à la fois utiles pour éviter tout effet de voyeurisme et pour décupler la violence, l’inhumanité et l’horreur de l’instant, du fait que le procédé en appelle à l’imaginaire du spectateur. La tendance au mysticisme de La fleur de Buriti est aussi amplifiée par divers cadrages mettant en avant l’aspect vivant de la forêt environnante, en accord avec la culture des indigènes. Une culture qui devient donc la base de l’aspect fictionnel de l’œuvre. Une œuvre qui, par ce biais, se fait le relaie de la lutte pour la préservation de ces cultures menacées d’extinction. D’où un aspect politique du film, encore renforcé par la nature éclatée de sa structure narrative. Une structure qui représente autant symboliquement que concrètement, l’allure de la destinée de ce peuple pulvérisé par l’avidité et le cynisme des propriétaires terriens.

D’une parole à l’autre

Cette collusion d’un aspect fictionnel et documentaire empreint de politique donne ainsi une grande puissance tragique à cette œuvre. Un film dont la vraie subtilité consiste en ce qu’il soit pourvu d’un rythme lent, envoûtant, tout en transmettant le caractère impératif et urgent d’un combat politique actuel auquel il prend une part active. Cette part consistant à perpétuer un héritage culturel et à transmettre la parole et les témoignages des survivants et de leur descendance. L’œuvre offre enfin une intéressante réflexion sur la représentation des indigènes d’Amazonie au cinéma, au travers de l’usage de quelques images d’archives au cours d’une séquence particulière, qui montre les ancêtres des personnages mis en scène, à une époque où ils pouvaient vivre, si ce n’est en paix, en tout cas tels qu’ils le désiraient.

Sans exotisme

Ce film est donc bien loin d’un cinéma type Apocalypto, un peu fantaisiste et franchement exotique, dont l’association au point de vue indigène n’est en réalité que le prétexte à une réflexion sur la culture occidentale aux dépens d’une compréhension approfondie de la culture des peuples indigènes. La fleur de Buriti cherche ainsi à montrer, outre ce qui a été perdu, ce qui reste, et fait entrevoir ce qui peut encore advenir, notamment la préservation des restes d’une culture meurtrie et la reconnaissance des crimes du passé. Ce faisant, l’œuvre s’inscrit dans une logique similaire à celle de moi un noir de Jean Rouch. L’une et l’autre de ces œuvres donnent la parole et respectent chacun de leurs personnages, montrent leurs passés pour mieux éclairer l’avenir, tout en mettant en scène, à travers eux, les rêves et les désirs de peuples qui ont survécu, malgré tout, à la violence de l’histoire et qui ne demandent qu’à exister en paix.

Titre original : Crowrã

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Durée : 2H 03 mn


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