La femme-flic. ( Sortie Blu Ray/ DVD chez Tamasa distribution)

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Loi et silence.

Revoir un Boisset nous convie à un retour dans notre passé, notre cinéphilie originelle, construite par les films des dimanches soirs et des projections dans les cinémas de notre enfance. Une ambiance particulière, où le thriller à l’américaine tendance Fuller ou Siegel est rejoint par les films politiques italiens à la manière de Rosi, une façon de décrire la France des années 70-80 avec engagement et force traits acérés. La Femme-Flic, proposé par Tamasa dans une copie respectueuse de la photographie et des couleurs, copie assortie par un bonus passionnant, nous invite à ce voyage dans ce cinéma qui ne nous est plus, malheureusement, proposé de nos jours, où l’eau tiède devient la source naturelle de moult films hexagonaux, et des diffusions cinématographiques télévisuelles préférant les comédies insipides assorties de trames narratives identiques ou des blockbusters dans lesquels les effets pyrotechniques remplacent la psychologie. Désormais, il est de bon ton d’éviter de perturber la sensibilité des spectateurs, et de ne pas les inciter à la réflexion sur ce et ceux qui nous gouvernent. Je vais encore me faire des amis, mais ma caravane passe quand même malgré les aboiements consensuels.

 

Venons-en à La Femme-Flic. Yves Boisset, après une décennie brillante de pamphlets tels qu’Un Condé, L’Affaire, Dupont Lajoie, Le Juge Fayard dit le Sheriff, et des drames intimistes comme La Clé sur la porte, s’empare d’un sujet peu exploité : celui d’un réseau de prostitution d’enfants dans le nord de la France. S’inspirant de plusieurs affaires (celle de Bruay-en-Artois, par exemple), Boisset évoque aussi dans ses mémoires La Vie est un choix une rencontre, celle d’une enquêtrice du SRPJ de Lille démissionnaire, lors du tournage d’un téléfilm avec Jean Carmet, aux abords de la rivière Kwaï. Un de ses collègues lui avait conseillé un voyage pour se recentrer, après avoir été placardisée et poussée à la démission après une enquête inaboutie autour d’un réseau de prostitution enfantine. De retour à Paris, Boisset et la policière se revirent, puis des collègues de l’ex-inspectrice confièrent des détails troublants autour de l’affaire étouffée du réseau lillois. Ainsi naquit l’histoire du long-métrage et du personnage de l’inspectrice Levasseur.

 

Le film, certes, suit les méandres d’une enquête, mais aussi les nombreuses difficultés et autres contraintes hiérarchiques et politiques subies par Levasseur, subtilement incarnée par une Miou-Miou toute en réserve et en dignité. Il décrit également un monde machiste où les vexations et les brimades des collègues et des supérieurs deviennent quotidiens : l’inspectrice semble plutôt agir en solitaire dans sa vie comme dans ses enquêtes, exceptés en de rares moments où la communication et l’humanité demeurent possibles, même temporaires. Un personnage solitaire, donc, face un monde professionnel désormais résigné dans lequel elle peine à trouver sa place, une femme-flic en empathie avec une population subissant les pressions des élites dirigeant économiquement la ville. Un univers enserré par des silences, des refus, et peu d’opiniâtreté à lutter contre le sordide.

Une galerie de personnages, incarnée par des acteurs d’exception et exceptionnels, complète thématiquement la trame narrative principale : Jean-Marc Thibault, en commissaire peureux avec l’élite mais autoritaire avec ses subordonnés; Lenny Escudero et Philippe Caubère, respectivement en chômeur anar et en prêtre ouvrier devenant auxiliaires de l’inspectrice; Jean Martin, en ex-officier dirigeant la grande firme de la ville; mais aussi Niels Arestrup, en photographe pédophile, et Jean-Pierre Kalfon, en directeur de maison de la culture amateur de Brecht. Mention spéciale, le temps de deux scènes, à François Simon, immense acteur : en quelques minutes, nous le revoyons avec plaisir camper un médecin atrabilaire « épuré » vivant en robe de chambre et en compagnie de félins nommés Gallimard, Malraux, ou Montherlant, dans une villa ayant vécu de meilleurs moments. Désigné un moment comme le suspect idéal par les artistes de gauche et une partie de la population ouvrière qui le verraient bien condamné malgré son innocence dans l’affaire de pédophilie, il représente le bouc émissaire parfait permettant de la clore.

Une des autres matrices du film tient en ce postulat : le bord politique ne constitue pas une preuve de tolérance : lorsque Levasseur rencontre la troupe de la maison de la culture (une scène sympathique avec Kalfon), plutôt orientée à gauche, le rejet s’avère rapide lorsque Levasseur lui confie son métier. Le médecin célinien, bien ancré politiquement, ne cache pas quant à lui son tropisme antisémite. Des personnages plutôt gris, comme le souhaitait Flaubert par rapport à ses créations et créatures romanesques. Néanmoins, le spectateur pend plaisir à ces rencontres, tantôt truculentes, parfois tendues, apportant à l’histoire des pauses heureuses et bienvenues. Les conversations entre Levasseur et son collègue bienveillant merveilleusement interprété par Alex Lacast, jeune policier empathique, rendent aussi le film réaliste et sympathique à suivre.

D’autres moments développent des moments de suspens : les filatures des pédophiles dans un vieux quartier de Lille, en compagnie du prêtre et de l’anarchiste fervents tous deux de justice sociale et de justice tout court; la perquisition et l’arrestation d’un repris de justice dans un foyer de travailleurs immigrés; la sollicitude d’un juge jusqu’au-boutiste (bravissimo Gérard Caillaud !) pour mener l’enquête jusqu’à son terme malgré les admonestations d’un procureur mielleux et corrompu (Henri Garcin, adéquat dans ce rôle difficile). Les arcanes, le labyrinthe du système, les difficultés de mettre la vérité à jour, sont décrits avec talent et variété par Boisset.

Les lieux reflètent ces pressions, la grisaille des familles subissant la mort, les viols et l’inceste : Boisset a choisi de filmer ces maisons typiques du nord de l’époque, habitations modestes construites en briques rouges, étalées à l’envi dans des rues interminables, avec des jardins du même format, où on pend le linge et décide de se taire et de s’épier. La loi du silence, la peur du chômage à cause des révélations, se retrouve symboliquement dans cette urbanisation délimitée par des terrils où des enfants jouent et découvrent des cadavres d’autres enfants.

Un Boisset comme nous les apprécions, avec une histoire excellemment menée, une direction d’acteurs sans faille, une mise en scène sans grandiloquence. Somme toute, un film à échelle humaine, que Tamasa nous invite à revoir ou à découvrir dans une édition de qualité.

Laissons le mot de la fin à l’inspectrice Levasseur : sa dernière réplique ? « On continue ! » Oui, on continue à aimer Yves Boisset.

Sortie Blu Ray/ DVD le 19 septembre 2023chez Tamasa distribution

 

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