La Famille

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Dans « La Famille », Ettore Scola déroule sur huit décennies le présent et le futur à la dérive d’une dynastie familiale de la bourgeoise patricienne de Rome. Un fleuve au long cours ininterrompu de mornes existences, seulement agité par les vagues successives de la nostalgie. En version restaurée.

« Dès l’enfance,l’Histoire était un sujet qui me fascinait et je ne cessais de me demander en mon for intérieur à quel point chaque jour aurait pu différer si César ou Mussolini en avaient changé le cours. Ma sympathie a toujours incliné vers les millions de gens auxquels on a dénié le droit de cité. » (Ettore Scola)

 

 

Ettore Scola tourne les pages de l’album de famille comme il effeuillerait l’éphéméride du temps qui passe

La Famille est un film choral dont l’entité constitutive est un héros pluriel. Reconstituer l’arbre généalogique éphémère des  générations successives  d’un même clan familial entre 1906 et 1986 est le pari impossible qui s’inscrit dans la démarche du réalisateur transalpin. La construction cyclique  permet de penser que ce film est parti de l’idée d’animer une photo de famille pour en suivre la chronologie au fil des décades.

L’œuvre est enserrée entre deux photos emblématiques qui immortalisent un moment unique qui ne se reproduira probablement plus jamais du fait de la dispersion et de l’effritement auxquels sont voués les membres de cette famille ; bouclant ainsi une boucle des destinées avec leurs multiples dérivations et ramifications générationnelles.

Ettore Scola parcourt l’album de famille en s’appesantissant sur les péripéties de la vie qui font le sel des rencontres familiales : les naissances, les décès, les flirts adolescents, les repas familiaux. Il ne donne pas de patronyme à cette famille pour l’essentialiser et contient l’action de sa chronique familiale dans une unité de lieu : l’appartement bourgeois du quartier « Prati » de Rome.

C’est dans cet espace clos, quasi inamovible dont seul le mobilier marque l’érosion du temps, que huit décades vont défiler sous nos yeux ; une décennie valant pour une génération.

D’inspiration largement autobiographique, La Famille déroule la narration de Carlo (Vittorio Gassman entre 40 et 80 ans), professeur universitaire de littérature peu aventureux et patriarche vertueux de cette dynastie recomposée à la fin du film. Carlo est un homme d’honneur tiraillé entre son amour de raison pour Béatrice (Stéphania Sandrelli) qui est le socle matriciel de la tribu familiale et celui entêtant qu’il éprouve à l’égard d’Adriana (Fanny Ardant dans la maturité de l’âge), artiste rebelle qui a voulu embrasser une carrière de pianiste-concertiste.

Ettore Scola met en scène sa comédie douce-amère selon un rituel de tableaux cycliques qui sont autant de « flashforward », d’avancées dans le le temps. En cela, le film est l’envers stylistique de Nous nous sommes tant aimés (1975) qui avait recours aux remontées dans le temps par flashbacks rétrospectifs et rétroactifs.

La Famille recrée  ce microcosme en vase clos avec une émouvante affection à laquelle Scola donne libre cours.

 

L’appartement familial est le point d’ancrage de la narration

Il est truffé de coins et de recoins et impose sa géométrie si particulière au film, autorisant les allées et venues introspectives de la caméra. Cette configuration dans la profondeur de champ favorise le changement de temporalité par d’amples travellings avant rythmés par le thème mélancolique extra-diégétique inoubliable d’Armando Trovaioli.

Une nouvelle page de l’album de famille se tourne à chaque fois sans autre transition que le leitmotiv musical et l’enfilade du corridor vide. Seuls les enfants emplissent ce no mans’land de leurs jeux tumultueux. Comme dans un train en marche avec ses multiples compartiments adjacents, la caméra  déambule tandis que s’égrènent les souvenirs de Carlo, le locuteur narrateur. Puis elle vire abruptement pour investir une chambre.

Scola se souvient : « La maison familiale ressemblait à un lieu hermétiquement clos sans fenêtres et rempli de miroirs où chacun se reflétait dans l’autre mais pas dans le monde extérieur. Et comme dans ce film, le cœur de l’appartement était figuré par le couloir qui le traversait longitudinalement de part en part. »

Les membres de la famille sont appréhendés pour leur tropismes et leurs excentricités par lesquels ils nous deviennent familiers et s’imposent comme des meubles dans le décor. Chez Scola l’humaniste, la famille renonce à son appartenance patricienne pour atteindre à l’universel. Ainsi des trois tantes inséparables qui hantent l’appartement et se chamaillent en permanence sur un mode hystérique ou encore de la figure faussement bonhomme de l’oncle employé municipal fasciste dont les farces affligeantes ne font rire personne. Plus complexe est la personnalité pathétique de Giulio, le frère de Carlo, traumatisé par la guerre et écrasé par l’autorité intellectuelle de son aîné au point de lui confier son roman autobiographique Le Gâchis, journal d’un raté pour s’entendre dire, vingt ans plus tard, qu’il a écrit un chef d’ œuvre qui demeurera dans les cartons au lieu de rester dans les annales.

 

Présent et futur ne font que charrier devant eux la nostalgie d’un passé intemporel

Les événements insignifiants du quotidien s’inscrivent dans ce cadre immuable. Et les nouvelles de l’extérieur nous parviennent par effraction, par ouïe dire ou encore par colportage, à travers des bribes de conversation, des échanges épistolaires, des affres financiers et in fine par la télévision qui est le catalyseur par excellence des dissentiments. A l’exemple de cette scène où à l’occasion de retrouvailles Adriana et Carlo se rejouent la sempiternelle même scène de l’indifférence qu’est le drame de la jalousie. Sur l’écran de télévision défilent des images qui montrent le couple formé par l’écrivain Arthur Miller et Marilyn Monroe.

Scola ne laisse filtrer à dessein que les moments-charnières des évènements historiques : la Grande Guerre qui fait rage , Mussolini qui croît et décroît, la libération laissant la place à un boom économique bourgeonnant, le malaise post-soixante-huitard et la réconciliation des années 80. L’appartement est le dernier rempart familial où les évènements extérieurs n’ont pas prise une fois franchi le seuil.

Les générations défilent et se succèdent insensiblement sans hiatus apparent dans une embardée du temps où présent et futur ne font que charrier devant eux la nostalgie d’un passé intemporel.

La Famille est sans doute le film le plus autobiographique de Scola qui s’auto-portraiture dans le petit-fils du patriarche Carlo à qui il fait la lecture de poèmes ; forgeant par la suite son goût indéfectible pour la narration .

Comme la progéniture de Carlo, le patriarche-narrateur, le cinéaste a grandi dans un quartier bourgeois de Rome, dans une de ces maisons patriciennes au sein d’une famille élargie dans laquelle chacun trouvait sa place et où le rituel domestique avait force de loi.

Rendu au terme de sa narration, Carlo fête ses 80 ans et sacrifie à la photo de famille pour l’occasion. Chacun reprend maladroitement sa place désignée dans le cadre pour pérenniser la famille ainsi recomposée.

Distributeur : Les Acacias

Titre original : La Famiglia

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Durée : 127 mn


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