La Charge victorieuse

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L’ode au courage et à l’incertitude du soldat selon John Huston.

John Huston réalise un de ses chef-d’œuvres avec cette magnifique ode au soldat qu’est The Red Badge of Courage. Il adaptait ici le livre éponyme de Stephen Crane paru en 1895. Stephen Crane écrivit son roman plus de vingt ans après la Guerre de Sécession qui en constitue le cadre et à laquelle il ne put participer du fait de son jeune âge. Le livre constitue pourtant une des descriptions les plus saisissantes du conflit par la richesse des thèmes explorés et sa richesse littéraire. Surtout, Stephen Crane sut retranscrire sa propre méconnaissance de la guerre à son héros Henry Fleming, jeune soldat apeuré jeté dans le tumulte de sa première bataille. Le film se montre déférent en tout point à son modèle littéraire, notamment via une ouverture présentant le livre et surtout une narration en voix-off de James Whitmore qui en cite de larges passages. Loin de surligner ce qui se déroule à l’écran, le procédé amène une emphase, un lyrisme et une poésie qui donnent au récit des allures de chanson de geste majestueuse. John Huston délivre un récit à hauteur d’homme et de soldat où il n’aura de cesse de retranscrire les sentiments profonds de son héros propulsé au sein du front. Le point de vue navigue constamment entre le collectif, l’emphase épique voulue et l’intime. Ainsi le camp militaire où végète notre garnison se révèle d’abord à travers les exercices ennuyeux des soldats, Huston isolant progressivement silhouettes, uniformes et visages pour amener la nouvelle du départ prochain vers le champe de bataille. A partir de cette révélation se distingue alors enfin le héros, Henry Fleming (Audie Murphy), qui à l’opposé des fanfaronnades et de la joie de ses camarades est déjà, lui, rongé par la peur. Audie Murphy trouve là son meilleur rôle et de loin. Vrai héros de la Seconde Guerre Mondiale bardé de décorations (dans le reste du casting, Bill Mauldin, Andy Devine, Arthur Hunnicutt et Royal Dano ont également combattu), l’acteur est suffisamment habité pour retranscrire l’angoisse de Fleming, ses traits poupins accentuant sa fragilité, tout comme son attitude un peu gauche lorsqu’il essaie sans succès de se donner fière allure face à ses camarades (le passage où il écrit à son père les larmes aux yeux est particulièrement émouvant).

 

Le champ de bataille est un monde étrange, dangereux et inconnu que Huston va filmer comme tel. Usant de choix visuels surprenants (angles de caméra déroutants, séquences oniriques, photo diaphane vaporeuse de Harold Rosson…), Huston transforme ce combat en véritable expérience visuelle hallucinée. L’ennemi sudiste ne dépasse pas le statut de silhouette indistincte et menaçante, ce n’est pas lui l’ennemi à vaincre mais plutôt la terreur tapie dans les entrailles du soldat. La mise en scène alterne ainsi les grands plans d’ensemble où les belligérants sont perdus dans l’immensité de la brume du décor dans un chaos de coup de feu et d’explosion avec des gros plans de visages en sueur armant d’une main tremblante leur fusil tandis qu’une perlée de sueur coule sur leur tempes. Pour galvaniser son héros et faire de ses frayeurs une force, il faudra le confronter à la perte de ses compagnons. Huston filme ainsi de saisissantes scènes de trépas, tel ce moment où John Diekes use de ses dernières forces pour gravir une colline, admirer le paysage puis s’écrouler dans un spasme. La complicité entre Audie Murphy et Bill Mauldin est poignante par la manière dont est scellée leur amitié – notamment lors de la scène où Maulding, se croyant perdu, confie sa montre à son ami, ou encore le double aveu final sur la lâcheté de chacun.

 

Ayant vu ses amis tomber aussi courageusement qu’injustement, Henry Fleming va enfin affronter la réalité qui l’entoure et agir héroïquement. Le cadre perd alors de son mystère cauchemardesque, et au lieu de se perdre dans son immensité notre héros s’y impose fièrement grâce à un Huston le filmant enfin avantageusement comme le héros en devenir qu’il est. On aura un premier aperçu lorsqu’il sortira des tranchées pour poursuivre l’adversaire (sa silhouette sombre s’imposant dans la blancheur du décor) et surtout cette course finale où il cavale drapeau de l’Union à la main, indifférent à l’apocalypse qui se déchaîne autour de lui. On évite l’attitude va-t-en guerre trop simpliste en rappelant le pathétique et l’absurdité de ce qui se joue ici à travers quelques vignettes puissantes, comme le porteur de drapeau adverse qui s’écroule mort tandis que le symbole sudiste flotte au-dessus de son corps. Il ne s’agit pas ici de célébrer le combat mais surtout ceux qui ont le courage d’affronter cette absurdité. John Huston y sera parvenu avec une inspiration rare (même s’il se plaindra des coupes du studio qui ramène la durée du film à une heure à peine). Un grand film.

Titre original : The Red Badge of Courage

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Durée : 69 mn


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