La vie selon Ann

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Humour décalé, SM débridé et actrice inspirée…

Film triste ?

Au premier abord, voici un film très triste qui illustre parfaitement la misère sexuelle et l’ultra-moderne solitude chère à Alain Souchon en un temps hélas révolu depuis qu’il est devenu macroniste. C’est du moins ce que l’on se dit, puis on éclate de rire en se moquant des nouveaux pudibonds du style #Metoo et #balancetonporc : et si c’était un vrai nouveau film comique ? Après trois opus qui ont vraiment marqué les esprits (I hate myself 🙂, 2013, Bad at dancing, 2015 et Laying out, 2019) et donné le ton d’une sorte de Arnow’s style, et en attendant un nouveau projet qui tarde, Joanna Arnow se lance dans ce quatrième long-métrage construit comme un carnet de croquis autour de quelques personnes qu’elle prend un malin plaisir à croquer autour du personnage central d’Ann qu’elle incarne à merveille entre auto-fiction (ses propres parents jouent les rôles des parents d’Ann !) et galerie de portraits qui ne va pas bien sûr sans évoquer le grand Woody Allen. D’ailleurs, l’un des amants d’Ann, qui donne aussi son nom à un épisode, ne s’appelle-t-il pas Allen, et faudrait-il y voir comme un aveu de cette grande humoriste qui, comme tous les génies de ce style, est foncièrement triste pour ne pas dire désespérée ? 

Film allénien ?

Mais le sujet de ce film va encore plus loin et on doute que Woody Allen aurait pu le réaliser sans se faire taxer de tous les noms d’oiseau, même s’il aurait jubilé de le faire. Le sadomasochisme ou BDSM (bondage, domination et soumission, sadomasochisme) comme on dit quand on est branché, est au cœur du film lui-même puisqu’ Ann se montre toute nue et toute crue, soumise faussement naïvement aux mecs qu’elle rencontre. Elle n’en fait pas tout un plat, mais nous fait rire tristement sur cette tranquille pratique sexuelle qu’on appelait autrefois déviance et qui, maintenant, deviendrait presque la règle. Joanna Arnow le montre sans censure et nous fait rire jaune. « Beaucoup de personnes voient un film comme celui-ci et pensent automatiquement qu’une femme qui fait du BDSM est sous influence, ou ils pathologisent ce qu’ils voient à l’écran – ce que je trouve scandaleux !, déclare-t-elle dans le dossier de presse du film. C’était très important pour moi de montrer que le personnage d’Ann participe volontairement aux sessions BDSM, afin de contrer tous les préjugés. De mon expérience, les gens qui font du BDSM se doivent d’être particulièrement respectueux et de bien communiquer entre eux, et c’est ce que j’ai voulu mettre en valeur dans mon film. »

Film libéré ?

Pourtant, le film n’a rien de l’horrible pensum militant qu’une telle assertion pourrait laisser présager. Au contraire, cette crudité, loin d’être perverse ou grotesque, induit un humour inclassable sur lequel il est bon d’insister pour encourager les spectateurs à aller voir ce film qui n’a rien de comique, mais qui pratique cependant l’humour qui est, comme l’a justement souligné Boris Vian qui l’aurait peut-être aimé, « la politesse du désespoir ». On laissera à l’auteur du film les derniers mots pour compléter ce texte incitatif : « Je ne considère pas le film comme « subversif ou choquant » dans son portrait de la sexualité. La sexualité est une part importante de la vie d’un humain, et du monde de manière générale. La sexualité mise en scène ici est la pièce centrale de l’histoire, et les longues scènes mettent en avant l’humour absurde et le comique du corps. » Tout est dit, y’a plus qu’à voir.

Titre original : The Feeling That the Time for Doing Something has Passed

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Durée : 87 mn


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