N’en déplaise à certains hommes politiques, aux dates de péremption beaucoup plus limitées, qui, croyant s’attirer les faveurs du plus grand nombre, trouvent plaisant de conspuer la grâce littéraire soi-disant désuète de « La Princesse de Clèves », le fameux roman de Madame de la Fayette. Force est de constater qu’hier comme aujourd’hui, ce beau spectacle de l’amour se joue, lui, toujours dans la cour des grands… La meilleure preuve étant la transposition (et non l’adaptation) qu’en a faite Christophe Honoré, l’an passé, sur grand écran. La Belle personne, film fluide, irrésistible de frémissement, de rapidité et de jeunesse, est d’autant plus à conseiller qu’une édition DVD (chez TF1 Video) est sortie ces jours-ci dans les bacs. Clouant définitivement le bec aux démagogues imprudents. Et toc !
En guise de scène d’ouverture, littéralement : une porte de lycée, massive, qui s’écarte sur une poignée désordonnée d’élèves. Le plan est filmé de l’intérieur et, très simplement, tout est dit. Le décor, d’abord : pour l’essentiel, une cour de lycée parisien, caisse de résonance d’un présent vibrant. Vaste et fermée à la fois, foisonnant de galeries, de balcons et de couloirs, comme autant de niches propices aux coups de théâtres et aux intrigues, elle renvoie bien sûr à la cour royale de La Princesse de Clèves. « Jamais cour n’a eu tant de belles personnes. Tout a débuté avec ces quelques mots de Mme de la Fayette, mots qui ont entraîné dans mon esprit l’idée d’une autre cour, celle d’un lycée parisien, avec d’autres belles personnes, la jeunesse d’aujourd’hui », a lui-même expliqué Christophe Honoré au moment de la sortie du film. De fait, cette réactualisation de la notion de cour projette immédiatement le spectateur sur une scène, dès ce premier plan, tel un lourd rideau de théâtre qui s’entrouvre.
Nul code, ni pesanteur, ni désuétude scolaire (n’en déplaise aux fâcheux). La grâce de Christophe Honoré, qui a d’abord été écrivain avant de livrer une suite en crescendo de beaux films, c’est qu’il parvient à capter ce qu’il y a de plus vivant, de plus atemporel, dans ces jeux (cruels) de l’amour, éternellement recommencés. Tout à fait d’aujourd’hui, et pourtant tout à fait d’hier aussi, ses adolescents – d’une beauté singulière en effet – donnent justement le sentiment d’être en perpétuelle représentation. Soucieux, comme les aristocrates du XVIe siècle, du regard de l’autre, même si, peut-être, les raisons sont désormais différentes (la bisexualité cachée de l’un, par exemple). Confer l’enchaînement répété des gros plans sur les visages dans les salles de classe, scènes récurrentes qui ressemblent à s’y méprendre aux épilogues provisoires d’actes successifs, avant la chute finale (la belle Junie quitte la scène, entendez la terre ferme, sur un bateau…)..
Bien sûr, tout au long de ces tours et détours virevoltants, narrés comme une tragédie – on ne badine pas avec l’amour, à cet âge-là – la langue peut sembler un peu littéraire, les citations cinéphiles un poil appuyées. Reste qu’entendre Louis Garrel – acteur fétiche d’Honoré, qu’il retrouve ici pour la 4e fois – murmurer, défait, perdu : « Je suis dans une absolue détresse amoureuse », n’a évidemment rien de ridicule. Non plus que la rondeur tout en clair-obscur de Léa Seydoux, clone bouleversant d’Anna Karina. Car grâce à lui, grâce à elle, grâce à ces textes et sous-textes si joliment déployés, Christophe Honoré, rejeton prodigue (assumé et reconnaissant) de la pourtant lointaine Nouvelle Vague reste profondément lui-même. La belle personne lui ressemble, mix subtil d’exigences, de regrets, d’élans, de renoncements, de fatalités. Naviguant, fluide, alerte, enchanté-désenchanté (refrains de Nick Drake à l’appui) de la Renaissance aux années 2000 en passant par les glorieuses 60’s pour mieux distiller un sentiment irrésistible d’éternité.
BONUS DVD
Petit bonus (en quantité sinon en qualité) : « Hôtel Kuntz », court métrage de Christophe Honoré de 15 minutes, réalisé en 2008 avec une partie des lycéens de « La belle personne » (dont Simon Truxillo, nanti d’une nouvelle coupe de cheveux). Noir et blanc dans un Paris estival, réalisé avec une même économie de moyens qu’au temps de ses illustres aînés (Rivette, Godard, Truffaut), ce petit film rieur se joue précisément de ces références pour mieux, là encore, les réactualiser, les transposer. Il s’ouvre sur le visage et le corps épais d’un voyeur, matant quatre (beaux) adolescents sur un court de tennis. Mise en abîme (ou pas) du cinéaste, le fait est que les quatre loustics, pas dupes, vont gentiment l’humilier, avant que l’on enchaîne sur une filature pataude dudit mateur, débouchant sur une modeste chambre d’hôtel (Kuntz, donc). Où il ne se passera pas forcément ce que l’on croit… Ce que l’on entend, en tout cas, ce sont quelques phrases lues à la volée par le trentenaire joufflu (très Nouvelle vague, ça), telle « le regret taciturne qu’engendre le vice ». Comme quoi, en quelques plans et clins d’œil, Christophe Honoré sait, à l’occasion, trousser une aimable petite fable. Au fait, juste pour le plaisir, sachez que cet Hôtel Kuntz existe véritablement à Paris, niché rue des Deux gares, dans le 10e arrondissement, à l’angle… de la rue La Fayette. Ben tiens !