La Belle de Saïgon où quand la liberté de ton du Pré-Code rencontre le souffle romanesque dans la moiteur de l’Indochine coloniale. Le récit nous place dans un triangle amoureux entre Dennis (Clark Gable), propriétaire d’une plantation de caoutchouc, la sulfureuse Vantine (Jean Harlow), et la plus distinguée Barbara (Mary Astor). Le scénario de John Lee Mahin (adapté de la pièce éponyme de Wilson Collison) fait volontairement de ces trois protagonistes de purs archétypes que les tourments du désir vont voir se développer. Clark Gable incarne ainsi un rustre sans manières qui n’a connu que cette existence à la dure dans cette plantation qu’il dirige d’une main de fer. L’arrivée et l’installation inopinée de la prostituée Vantine l’agacera dans un premier temps avant qu’il ne reconnaisse plus tard en elle son pendant féminin, celui d’une aventurière ayant roulé sa bosse et capable de lui apporter sans l’offusquer un répondant gouailleur à ses manière brutales. Toute la séquence amenant leur première étreinte est à ce titre magistrale, car sous l’agressivité mutuelle de façade se dessine une complicité qui s’orchestrera dans les dialogues et le mouvement, pour un véritable festival de sous-entendus sexuels. Vantine déambule ainsi lascivement dans la pièce, haranguant un Dennis immobile mais bouillonnant, comme dans un rituel de séduction animal.
L’environnement joue un grand rôle dans l’évolution des deux romances. La tempête et la pluie diluvienne qui amènent la liaison entre Dennis et Barbara expriment la pulsion et la nature fugace de leur attirance mutuelle. Les éléments météorologiques n’ont eux pas besoin d’intervenir pour qu’une attraction s’exprime entre Dennis et Vantine, elle coule de source et quand bien même elle semblerait moins romanesque, cette relation ne serait que plus naturelle, spontanée. Cela tient grandement au jeu percutant de Jean Harlow qui n’est jamais une proie, une chimère ou un fantasme pour Dennis mais une vraie partenaire dont le sex-appeal se véhicule autant par le charme vénéneux que par l’attitude décomplexée. Amoureux transi mais quelque peu figé avec Barbara, Dennis retrouve sa joyeuse insolence et ses mauvaises manières au contact de Vantine. Cela se confortera même dans l’expression totalement opposée du dépit amoureux chez les deux femmes. On partage un instant la détresse de Vantine lorsqu’elle apercevra Dennis porter Barbara dans sa chambre, mais cette déconvenue se manifestera par quelques remarques désobligeantes à l’image du côté frondeur du personnage. Le final verra au contraire une expression vaine et violente d’un désappointement semblable pour Barbara, pas aussi dure et incapable de contenir ses émotions, en somme définitivement soumise à Dennis. Un régal à l’érotisme moite qui fait encore son effet aujourd’hui. Vingt ans plus tard, John Lee Mahin transposera son script en Afrique pour le somptueux remake Mogambo (John Ford, 1953) où Clark Gable reprend son rôle, Ava Gardner et Grace Kelly prenant elles superbement le relai de Jean Harlow et Mary Astor dans cet autre classique.