Chacune de ses oeuvres qui précède JFK suinte déjà de ce regard acerbe porté sur l’Histoire des Etats-Unis, mais également de la sincérité bouillonnante d’un réalisateur amoureux de son pays. Pas question de repentance ou de pardon, juste comptent les faits et leur mise en lumière. Presque toutes ses oeuvres, jusqu’au récent W, semblent motivées par ce besoin de rappel. Ce devoir de dénoncer une vérité. Non pas LA vérité, mais une parmi tant d’autres : la sienne. Voilà le principal élément de controverse du Cinéma d’Oliver Stone, qui va ici exploser avec JFK. Le grand écart opéré entre une certaine objectivité attendue (et non pas promise) et une subjectivité de chaque plan. Aucune réserve, aucune retenue. Stone est concerné par son film car, citoyen américain, il est aussi son acteur. Le cas JFK, le mystère qui l’entoure, le mythe conspirationniste qu’il représente s’intègrent donc parfaitement dans une filmographie alors déjà très engagée. Et c’est en inspirant son scénario des ouvrages du personnage principal de JFK, Jim Garrison (On The Trail of the Assassins) et de Jim Marrs (Crossfire: The Plot That Killed Kennedy), qu’Oliver Stone va nous dresser la fresque de sa vérité.
L’incroyable générique d’ouverture et son montage choc contient en cinq minutes l’essence même de la controverse que va provoquer JFK, dans le sens qu’il illustre parfaitement l’angle d’attaque choisi par Stone. Images d’archives, extraits de journaux TV d’époque au format 4:3 et voix off se trouvent mêlés à des scènes spécialement filmées pour le film. Même format d’image, même grain " d’époque " : dès les premiers plans du film, Stone brouille les pistes et mélange Histoire et fiction pour ne plus former qu’un tout unique et subjectif. C’est ce genre de parti pris, cette envie de flirter avec le documentaire sans pour autant en assumer le caractère rigoureux, qui va voir polémistes et historiens de tout genre monter au créneau pour défendre cette fois la vérité historique de l’assassinat de Kennedy (Gerald Posner en 1993 et son Case Closed : Lee Harvey Oswald and the assassination of JFK…).
A travers la dynamique enquête du district-attorney, portée par une distribution sans faille et un montage justement récompensé aux oscars, Stone s’attache alors moins à dépeindre la mort de John Fitzgerald Kennedy et les raisons de son assassinat, que la recherche de la vérité et la quête de son pèlerin Jim Garrison. Homme de bien, homme de paix, enfant et symbole de la nation, Kennedy se retrouve comme canonisé derrière la caméra de Stone et très vite réduit à une idée, à une image diaphane, omniprésente mais diffuse. Incarnation du changement, épargné de tout regard critique, il est opposé à un successeur diabolisé, lui, Lyndon Johnson, représentation de l’échec du Vietnam et acteur passif de la mort de Kennedy. L’importance de JFK n’est à aucun moment dans la nuance mais dans le constat profond de Stone sur la naissance de la désillusion américaine. Par l’assassinat de Kennedy mais aussi par celui de son frère Bobby, en direct à la télévision, et du pasteur Martin Luther King la même année – 1968. C’est de l’écroulement des institutions que Stone fait le portrait, mais aussi de l’enterrement d’une certaine esquisse de changement de la société et des mentalités.
Malléable, car moins frappé de la marque Historique de l’affaire, Garrison est le Don Quichotte moderne idéal, au travers duquel Stone va se mettre en scène. Luttant contre les institutions, les médias, ses amis, sa famille, Garrison fonce au devant de moulins trop grands pour lui, et vers une défaite annoncée, qui se concrétisera lors du dantesque procès qui verra la commission Warren sortir vainqueur. Mais le but véritable de Garrison, tout comme celui de Stone, n’est ni de gagner ni de perdre, plutôt d’alerter l’opinion public et de lui prouver à quel point elle est facilement manipulable. La scène présentant la réalisation d’un photo-montage d’Oswald résonne comme l’écho parfait des trucages vidéos opérés par Stone dès les premières minutes de son film. Moins une contradiction qu’un clin d’oeil amusé d’un réalisateur manipulateur mais pas dupe.