J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un

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Premier film à être distribué en salles sous ce format (tourné intégralement en caméra de téléphone mobile), la nouvelle immersion intime de Joseph Morder traverse son temps (février/mai 2007) avec impudeur et sensibilité. Expérience rare, donc bien sûr conseillée.

Comme de Palma pour Redacted, le nouveau film de Joseph Morder tire sa singularité de son statut initial de commande pour un projet de programmation expérimentale (ici, le Festival Pocket Films, organisé par le Forum des Images en juin 2007). Sur cette idée de réaliser un long-métrage avec pour unique support une caméra de téléphone portable, le cinéaste, jusqu’ici habitué à capter sa propre vie sous la forme de journaux intimes en Super 8 ou 16 mm, propose une modeste et très attachante immersion dans un espace mental en ébullition.

De l’aveu même de l’auteur, ce film ne se veut pas à proprement parler « authentique », tout du moins pas dans son intégralité. Si la couverture mi-distanciée mi-engagée des évènements de mai 2007, tels que les élections présidentielles, assure de la dimension majoritairement documentaire de l’œuvre, l’histoire d’amour naissante avec Sacha, le jeune homme russe qu’il rencontre en bord de Seine, tient surtout lieu de fil rouge à son auto fiction.

Le titre, J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un, au-delà d’être tiré d’une phrase très tôt prononcée par Morder lui-même, est surtout la preuve d’une adresse permanente au spectateur, d’un souhait dont la formulation même se veut appel à complicité, à proximité avec son auditeur. Conscient du caractère très aléatoire de ses choix, tout ce qu’il enregistre se veut être pris dans l’évidence de sa fragilité, dans la nudité de ses vacillements. Chats ou amis, hommes et femmes se prêtent au jeu de ce filmage « imposé » sans cacher jamais ni leur trouble ni leur relatif amusement face à ce qui s’avère faire barrage à une communication « réelle ».

Là se situe la pertinence et la limite du principe du home movie : il témoigne à la fois du possible d’une fiction de poche (amour, doute, point de vue sur le monde à hauteur de terrasse…) comme de la foncière inévidence de cette fiction. Tout est pris, le proche comme le lointain, tout se donne avec ou sans mesure, mais rien n’apparaît comme libre de son propre épanouissement. Lorsque le narrateur/protagoniste/reporter filme par exemple Sacha, au restaurant, alors qu’ils se connaissent à peine, bien que soit certain que la situation est « fabriquée » (Sacha se nomme dans la vie Stanislav Dorochenkov), apparaît au fil des regards furtifs du « personnage » l’incapacité muette à correspondre au regard de l’artiste.

Joseph Morder confirme cette difficulté à d’assez régulières occasions, laisse transparaître à de nombreuses reprises sa conscience de jouer un jeu voué à la confusion. Il l’exprime clairement lors de ses voyages à Londres ou au Moulin d’Andé, dans la solitude de son appartement. Davantage que ce qu’il vit, n’est-ce pas au final l’acte égoïste de filmer qui le porte ? Si cette expérience du portable lui apporte une richesse, ce serait sans doute celle de mettre en lumière (ou en ombre, la question de l’éclairage étant la matrice poétique et comique de l’objet) son plaisir enfantin à se voir exister, in extenso à voir le quotidien faire image. Il n’y aurait (il filme son histoire depuis 1967) ainsi de vie qu’à la condition d’une empreinte incessante de ses manifestations.

D’où le sentiment – malgré donc le constat assez effrayant d’un solipsisme galopant et d’une douce dictature du regard subjectif sur toute extériorité – d’une belle honnêteté de la part de Joseph Morder, d’une conscience critique de ses propres édifications. Le piège du cynisme est esquivé, rien de ce qui est montré n’est à prendre pour argent comptant, comme le produit d’une vision « juste » sur le monde. C’est aussi cela que désigne le titre : « partager le printemps avec quelqu’un », à savoir aussi bien se trouver un partenaire amoureux qu’un simple ami, une oreille et un œil attentifs et curieux. Si le journal intime demeure, quel que soit le support, le lieu des murmures et pensées secrètes, avoir désormais une caméra dans la poche préfigure implicitement la naissance d’une soudaine pulsion journalistique. La vie de chacun pourrait finalement regarder tout le monde.

Titre original : J'aimerais partager le printemps avec quelqu'un

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Durée : 125 mn


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