J. Edgar

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Après deux films assez froidement accueillis, le nouveau Eastwood, par l’ambition de son sujet et surtout la cohérence de sa structure semble susceptible de lui rendre sa crédibilité. Encore faudrait-il qu’il l’ait réellement perdue…

Si quelque chose réunit bien les derniers films d’Eastwood (depuis disons Million Dollar Baby), c’est une croyance désormais évidente au film comme « tout », emboîtement miraculeux de fragments à la connivence presque inconsciente. Plus directement centré sur le récit et son potentiel englobant, ce cinéma, autrefois fascinant par son aptitude à faire tenir chaque scène sur le socle de sa seule plénitude (étirement des agonies et trajectoires terminales d‘Impitoyable ou Un Monde parfait ; long état de flottement de l’apprivoisement amoureux dans Sur la route de Madison) a perdu ces dernières années en fermeté ce qu’il a gagné en potentiel d’ivresse et d’humanisme plus franc. Ce qui dans ses deux précédents films (les mal aimés Invictus – que nous avions certes plutôt défendu – et Au-delà – que nous avions donc clairement descendu) pouvait apparaître à première vue comme une embarrassante propension à l’emphase était surtout rien moins qu’un regain de foi dans la coïncidence de chaque partie d’une histoire de cinéma. Les symboles, tout sur-signifiants qu’ils étaient (union des races par la magie du sport ; truchements plus ou moins heureux du Destin), étaient aussi les bouleversants symptômes d’une ouverture plus assumée au souffle de la fiction au travail.

J. Edgar, son 32e film, biopic parcourant les quarante-huit ans de règne du tout premier chef du FBI, de sa désignation en 1924 à sa mort en 1972, bien que de facture plus « noble », ne déroge pourtant pas à cette règle. Autant que dans Million Dollar Baby, le dyptique Mémoires de nos pèresLettres d’Iwo Jima, L’échange, Gran Torino et donc les deux films précités, tout sera avant tout affaire de coordination jusque dans la chute. Si les grandes lignes de la carrière de Hoover sont à peu près suivies, de sa traque des grandes figures de la criminalité (Baby Face Nelson, Dillinger…) à sa réception quelque peu déroutante de l’assassinat du président Kennedy, en passant par sa chasse obstinée aux communistes, c’est au moins autant le sujet « J. Edgar » qui intéresse Eastwood et son scénariste Dustin Lance Black (oscarisé en 2009 pour Harvey Milk). Soit un homme hanté par le regard de sa mère, mais aussi un éternel célibataire dont les deux principaux associés (sa secrétaire, Helen Gandy – Naomi Watts – mais surtout Clyde Tolson – Armie Hammer, qui incarnait à lui seul les jumeaux de The Social Network –, clairement présenté comme l’homme de sa vie) auront été les seuls témoins des failles et discrets dérèglements de l’existence.

 

Sur Écoute

Le choix de ce titre, « J. Edgar », est en effet tout sauf anodin, une scène du film que l’on se gardera de dévoiler le justifiant en toute limpidité. Tout juste peut-on dire qu’une fois scellé son pacte professionnel et implicitement amoureux avec Tolson, cette signature trouve sa valeur définitive de raccourci. Le film tirera alors toute sa sève des répercussions d’une lourde fonction publique sur une intimité, éclairées par les codes qui permettront à J. Edgar et son bras-droit d’avancer ensemble, traverser cette épopée historique – celle de l’édification et de la consolidation du système judiciaire américain que l’on connait – à la lumière d’un pur principe de lecture, de déchiffrement et de clins d’œil. Car ce n’est décidément plus la déchirure qui semble intéresser le Eastwood tardif, mais bien, même si partout rôde la mort ou du moins sa prédiction, la réconciliation de ses personnages avec eux-même au gré des courants de la fiction. Un film de Clint Eastwood est désormais porté plus ou moins secrètement par ce principe de pansement des blessures les plus profondes par le biais du potentiel de raccords de la représentation. Principe d’art au carré par lequel il rejoindrait alors Coppola père, dont le cinéma fut lui, dès l’origine, animé par ce voisinage de fermeté et de naïveté, de souplesse et de grossièreté de trait.

Il faut voir la manière dont tout du long les séquences des premières années, celles de la jeunesse et de la montée en puissance de Hoover, portées par la voix off du vieil homme dictant sa biographie améliorée à de jeunes agents du FBI, glissent sur celles de ses derniers jours. Ou plutôt dont elles s’emboitent, cohabitent sans douleur, hier et aujourd’hui important moins que la garantie pour Eastwood de nous assurer que le premier et le dernier Hoover sont bien les mêmes, que le DiCaprio trentenaire au visage nu et celui grimé d’un masque de vieillard sont porteurs d’un même élan, héros d’une seule et même grande Histoire. Rarement peut-être l’idée de constance, de ressemblance des êtres et des institutions avec eux-mêmes, malgré l’épreuve du temps, aura autant été au cœur d’un principe narratif et d’une logique de mise en scène. Jamais sans doute un biopic aura à ce point travaillé à se préserver des ruptures franches et virages décisifs de la ligne de vie qu’il accompagne.

Stone age for a king

J. Edgar est avant tout et littéralement un grand film d’installation, un objet certes très lisse, aux coutures assez visibles (est-ce chose inédite dans ce cinéma ?), mais dont la majesté s’affirme dans la dernière ligne droite, presque in extremis. Depuis Million Dollar Baby, chaque œuvre de Clint Eastwood est avant tout un « film-monde », pour reprendre une expression certes un peu galvaudée, mais tellement conforme à la réalité de ce que l’on voit. L’importance pour le maître yankee n’est désormais plus de tracer la ligne presque droite de grands films stables tels qu’Un Monde parfait, Madison ou Les Pleins pouvoirs. Ni même d’observer, comme dans ses tous premiers films, puis Impitoyable ou Mystic River, le gouffre sans fond des chimères humaines. Ce qui semble aujourd’hui le porter, c’est la conviction qu’un film est encore possible, qu’une communauté de scènes reste susceptible de se créer.

Il est certes évident que de la réalité de John Edgar Hoover, cette personnalité représentative d’une droite dure, ne reculant devant aucune méthode de détournement du principe libéral américain, ce film ne dit pas tout. Mais n’est-ce pas la pertinence du cinéaste Eastwood que de savoir faire de la déflation d’un mythe plus fort que lui le dernier reflet en date de sa sérénité d’artiste, son optimisme de vieux singe plus confiant que jamais dans le potentiel réconciliateur du cinéma ? A la découverte de J. Edgar, cela ne fait aucun doute.

Titre original : J. Edgar

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Durée : 135 mn


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