Inglourious Basterds

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Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l’exécution de sa famille mais s’échappe de justesse et s’enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d’une salle de cinéma… Quelque-part ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis…

Depuis le palmé Pulp Fiction, encore dans la continuité de son Reservoir Dogs inaugural, Quentin Tarantino aura manié comme personne l’art du contre pied, préservant sa personnalité et affinant sa patte de film en film. Alors que pullulent les sous Pulp Fiction et qu’on attend de lui une nouvelle pellicule comico-violente, il livre avec Jackie Brown un portrait de femme intimiste baigné d’hommage à la blaxploitation. Ceux qui y auront vu le film de la maturité en seront pour leurs frais, avec un extraordinaire Kill Bill Volume 1, formidable objet pop aux confins des genres et d’une liberté absolue. Une jubilation contrebalancée par un Volume 2 opérant un subtil et poignant retour au monde réel, tandis que le slasher attendu sur Boulevard de la Mort existe réellement le temps d’une scène de collision mémorable, avant une seconde partie en forme d’hymne au « girl power ». Ce Inglourious Basterds ne déroge pas à la règle.

Arlésienne entretenue par Tarantino depuis bientôt dix ans, le projet aura fait du chemin par rapport à l’idée de base. Au départ annoncé comme un remake d’une bisserie de Enzo G. Castellari (mêlé d’un hommage aux films de commando à la Douze Salopards), le film aura alimenté les fantasmes les plus fous des amateurs d’action avec un casting supposément doté de tous les héros à biceps des 20 dernières années, de Stallone à Schwarzeneger en passant par Bruce Willis, ainsi que les habitués Michael Madsen ou Samuel L. Jackson. Un sujet si longtemps maturé ne pouvait que dévier peu à peu dans une autre direction.

Si le film de commando est bien là, ce n’est que par intermittence, au sein d’une intrigue ambitieuse, sérieuse et loufoque à la fois, où Tarantino convoque à nouveau son amour du cinéma et de ses sous genres.

Dans une narration chapitrée qu’il affectionne, Tarantino articule son récit autour des trois sommets que sont l’ouverture, la séquence de la taverne et la conclusion dans le cinéma. Témoignant chacun d’un genre précis pour les deux premières, puis du cinéma lui-même pour la dernière, leur disposition tout sauf anodine et leur ton illustrent l’ambition et la direction souhaitée par Tarantino.

La première scène est au croisement des introductions de Il était une fois dans l’Ouest et Le Bon, la Brute et le Truand, autant par les réapropriations visuelles (la lente arrivée au loin des allemands sur fond de Ennio Morricone) que narratives (l’amabilité lourde de menace de Hans Landa, le massacre de la famille de Shossana) et thématiques (une nouvelle fois la vengeance) du cinéma de Sergio Leone. En plus de susciter l’émotion par son issue tragique, ce début dépeint d’entrée le machiavélisme et l’intelligence du Colonel Hans Landa (tel un Fonda ou un Sentenza, Leone encore) et l’importance qu’aura dans le récit l’usage des différentes langues.

Le réalisateur n’a rien perdu de son art de l’esquisse de personnages hauts en couleur et de l’écriture de dialogues savoureux. Outre Hans Landa, génialement campé par un Christopher Waltz qui n’a pas volé son prix d’interprétation, les fameux « Basterds » réservent les instants les plus savoureux et outranciers du film, malgré un temps réduit à l’écran. Les plus charismatiques d’entre eux se taillent la part du lion. Brad Pitt, gradé plouc adepte du couteau, accompagne son timing comique parfait d’un accent sudiste tordant et aligne les répliques d’anthologies. Til Schweiger, imposant tueur de nazi à la mine patibulaire et Eli Roth en « Ours Juif » adepte de la batte de base-ball ont également droit à des présentations tonitruantes et jouissives.

La séquence de la taverne et les scènes qui l’introduisent forment le second mouvement de la symphonie tarantinesque. C’est cette fois les films d’espionnage des années 40 et le Lubitsch de To be or not to be qui s’invitent. Jeux de faux semblants, tension palpable et coups de théâtre savamment distillés par un Tarantino au sommet de son art, parvenant même à glisser quelques blagues (l’allusion à King Kong) dans ce long moment de suspense haletant. C’est l’occasion de souligner l’aspect finalement assez anti spectaculaire du film (hormis la fin) et la prouesse du réalisateur qui parvient à nous tenir de la première à la dernière minute par son seul talent de raconteur d’histoire.

Les clins d’œil cinématographiques ayant accompagné tout le film (le cadrage de la porte à la Prisonnière du désert accompagnant la fuite de Shossana au début) trouvent leur aboutissement dans le final où le cinéma lui-même sera l’instrument de la victoire (avec cette autre belle idée qu’est la pellicule à nitrate inflammable) dans une uchronie sacrément culottée. Instrument narratif par sa vengeance et thématique par son témoignage du pouvoir absolu du cinéma sur les hommes, Mélanie Laurent est le personnage pivot du récit, le ciment entre l’aspect purement philosophique et audacieux voulu par Tarantino et le seul du film à provoquer par son destin et ses actions l’empathie nécessaire à former un tout cohérent, réfléchi et poignant à la fois. La spectaculaire éradication de l’ensemble du gotha nazi est ainsi un grand moment de cinéma, une déclaration d’amour aux images infernales et une des plus inoubliables manifestations de la vengeance (pourtant déjà bien alimentée chez le cinéaste). La projection du visage de Mélanie Laurent riant aux éclats alors que le chaos se déchaîne et que les nazis tombent comme des mouches hantera longtemps le cinéphile.

Tarantino signe là l’une des plus belles réussites d’une filmographie parfaite, un des meilleurs films de l’année, qu’il conclut en parvenant à nous faire jubiler une ultime fois par le châtiment exemplaire que réserve Raine à l’infâme Hans Landa.

Titre original : Inglourious Basterds

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Durée : 153 mn


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