Home : ce titre neutre et concis renvoie directement à l’essence du film. Une famille vit en dehors de toute société, prêt d’une autoroute inachevée devenue terrain de jeux, dans un enclos façonné selon leurs souhaits, et se bat pour préserver son mode de vie.
Home sweet home…
La réalisatrice part de ce postulat simple, et détourne la première pensée tournée vers un film de science-fiction. Une famille, dernière Wall-E habitant une terre déserte et vierge de toute industrialisation, devra-t-elle repeupler celle-ci, ses membres sont-ils les élus pour une nouvelle civilisation ? Mais il ne s’agit pas ici de la fin du monde détruit par les humains et leur société de consommation. La douleur et la blessure sont plus profondes, propagées dans les derniers espoirs et le supposé impénétrable cercle intime de la famille. Les paysages sont en cela percutants, car ils évoquent non pas l’aridité ravageuse (et ravagée) mais une désertification protectrice, un état de nature riante qui sera bientôt anéantie, ou plutôt rattrapée par la société que les personnages avaient fui.
Rien ne menace, et pourtant. D’emblée, la description convoque charme et fantasme, mais le film est empli de pessimisme sans pour autant déroger l’adhésion première. L’annonce par Radio Autoroute de la réouverture pour les grandes vacances de l’autoroute est un rappel à l’ordre contre un idéal jalousé, une forme de liberté individuelle interdite. La forme en huis clos (aucun plan n’est tourné depuis la seconde barrière de sécurité), accentue la pesanteur de l’extérieur, qui progressivement se répand dans la maison. Home renvoie à l’infiltration d’une entité publique, d’un asservissement à un système. A la lisière d’une dystopie, ce premier long-métrage convoque richesse thématique, présence d’acteur et fable moderne.
Secondée par la photographie ocre et lumineuse d’Agnès Godard, Ursula Meier accorde la primauté au langage visuel, rarement plébiscitée dans le cinéma français. Ce sont des clins d’oeil, les regards appuyés d’une mère inquiète, des gestes de folie déplacés qui délivrent la réussite du film. On pourrait arguer que le film possède des longueurs, surtout lors de l’enfermement de la famille mais, plutôt que d’ennuyer, cette séquence introduit l’aliénation et la vigueur des principes des parents (surtout de la mère), pour sauver ce qu’ils ont construit. L’effritement du parpaing, la raréfaction de présences à l’extérieur de la maison, la minutie des sons et l’image déchirante du fils qui cherche un puits de lumière, travaillent l’organique et dérangent.
Le road-movie inversé.
Notamment interprété par Isabelle Huppert et Olivier Gourmet (méconnaissable en jean moulant et en marcel), le film renvoie au Mythe de la Caverne, substance de départ ou de résignation du road-movie. On imagine que la famille a goûté à la vie « normale », pourrait-on dire, en société. Actuellement, leur maison, implantée le long d’une route, suppose une quête passée, une marche, une errance vers un point de chute, retraçant l’itinéraire d’un road-movie. Ainsi, Home est lui-même un film inversé : ce n’est pas la fin mais le début de l’histoire qui implique l’imaginaire du spectateur.
Cette résidence en béton brut devient la métaphore de la caverne de Platon. A l’intérieur sont préservés les habitudes, l’éducation des enfants, le patrimoine. Le cloisonnement obstiné, apparenté à de la folie, devient logique. A la fin, ils peuvent ressortirent, ressourcés par un voyage dans leur vérité. Mais de quelle réalité s’agit il ? La leur, celle des vacanciers embouteillés, agglutinés sur l’autoroute comme dans Week-End de Godard, ou celle des ouvriers dont ne sont filmés que les massives chaussures noires et combinaisons oranges ? Ursula Meier trace une ligne directe entre cinéma et réalité. Et, où est la réalité, si ce n’est dans celle que l’on crée…
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